Eaux douces

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  • les sources,
    les fontaines
    (la vouivre)
  • les sources (suite)
  • les puits,
    les citernes
  • les puits (suite)
  • les rivières
  • les rivières (suite)
  • les eaux dormantes
  • les eaux dormantes (suite)
  • les lutins,
    les feux follets
  • les lessives
    merveilleuses
  • autres âmes en peine
  • les démons et les sorciers
  • les hantises et les animaux
  • villes, personnages et trésors engloutis
  • traditions diverses

Les sources, les fontaines.

Une légende franc-comtoise explique l'origine d'une fontaine intermittente :
« Un jour que le sire de Joux sortait de son château sur sa jument favorite, la herse, tombant trop tôt, coupa sa monture en deux; le seigneur ne s'en aperçut pas, et la cavale, sur deux pieds seulement, continua son galop à travers la campagne.
Arrivée à une gorge sauvage où se trouve la fontaine de la Combe, elle se mit à boire, à boire indéfiniment.
Le seigneur, après de vains efforts pour l'obliger à relever la tête, sauta à terre, et s'aperçut alors seulement qu'elle n'avait plus que deux pieds et que l'eau, à mesure qu'elle la buvait, ruisselait sur le sol;
il revint au château et conta l'aventure à ses gens, mais quand ils arrivèrent à la fontaine, la jument avait disparu.

Depuis, la fontaine coule toujours, mais avec intermittence.
Elle retient et donne son eau de six minutes en six minutes.

Les habitants de la contrée ont cru longtemps que c'était la jument invisible du sire de Joux qui venait là cent fois le jour étancher sa soif, et que l'onde ne renaissait que quand l'animal désaltéré cessait de boire. »

 


A Esquieule (pays basque), on voyait de temps en temps deux Lamignac, qui sont des espèces de fées, sortir de la fontaine d'Andretho, s'asseoir sur la rive et se chauffer au soleil.

Une bergère de la région du Morvan, où les fées des fontaines sont toujours populaires, affirmait, il y a peu d'années, qu'elle avait vu une grande dame blanche descendre jusqu'à la source de la Certenue, où elle se baissa, ne semblant pas toucher terre.

En Berry, la Dame de la Font de Chancela, non moins belle que perfide, habitait cette fontaine, dont elle sortait pour aller se promener dans le Pré à la Dame, et le Champ de la Demoiselle.
La nuit, on voit s'élever au-dessus de la source une gigantesque figure de femme, qui se perd dans le temps.

Cette fée était d'une incomparable beauté : un seigneur du voisinage, qui en était tombé éperdument amoureux, parvint plusieurs fois à l'enlever, mais à peine l'avait-il placée sur son cheval, qu'elle lui fondait entre les bras, et lui laissait une impression de froid si profonde et si persistante que toute flamme amoureuse s'éteignait à l'instant dans son cœur, et qu'il en avait pour plus d'une année sans songer à un nouvel enlèvement.

Celui qui avait le malheur de se récrier sur la trop grande fraîcheur de l'eau de cette fontaine perdait la parole, et était condamné à aboyer tout le restant de ses jours.

 

Le cheval de saint Rou, qui fut un fameux chasseur, s'emporta dans une lutte contre des sangliers, et vint se noyer ainsi que son cavalier, dans la fontaine de la forêt de Rennes qui porte le nom de saint-Rou.
On y montre au fond, sur une pierre énorme, l'empreinte de ses sabots, et durant les tempêtes, on entend des hennissements effroyables.

Les abords de la fontaine de la Meuse possèdent une particularité qui, comme plusieurs empreintes merveilleuses, est due au passage d'un bienheureux : « Depuis que saint Antoine, ayant été chercher de l'eau à la fontaine de Ribeaucourt, en répandit quelque peu dans son trajet, le chemin qu'il suivit est toujours humide. »

 

Suivant une légende alsacienne, un personnage transporta une source entière, à l'aide de son bâton.
Avant de s'en aller combattre les Infidèles, le chevalier Gangolf dit à sa femme :
« Je pars avec Dieu et pour Dieu, sois-moi fidèle. »
A son retour, il rencontra un paysan qui se reposait au bord d'une source. « Donne moi ta source, lui dit-il, je paierai avec de bon argent.
— La source, répondit l'autre, vous pouvez l'emporter, j'accepte.
— Avec l'aide de Dieu » ! répondit le chevalier, qui tira sa bourse et paya le paysan.
Ensuite, il poussa son bâton dans l'eau, qui y remonta, et partit.

Arrivé à son château, il pria sa femme de l'accompagner au jardin.
Il planta alors son bâton en terre et il en sortit une eau claire qui écuma, bouillonna et se répandit dans un bassin.
« Tu me fus sans doute fidèle ?
Plonge ta main dans cette eau; si tu la retires pure et blanche, tu es un ange de lumière, sinon, un ange des ténèbres. »

Après de longues hésitations, la dame plongea la main dans la source; quand elle la retira, elle était couverte d'une boue noirâtre.
Gangolf poussa son bâton dans la source, qui y remonta tout entière, puis il marcha jusqu'au moment où il arriva dans une fraîche prairie de la vallée de Guebwiller.
Il y fit de nouveau sourdre de son bâton l'eau qui se répandit au loin.

Saint Remacle opéra le même miracle : un jour qu'il avait demandé en vain un verre d'eau dans toutes les maisons d'Ouffet, il finit par trouver dans le voisinage une belle fontaine à laquelle il se désaltéra;
pour punir tous les gens d'Ouffet, il introduisit son bâton dans la fontaine, la mit sur son dos, et arrivé à Rahier, sur le plateau tout nu, il replanta la fontaine.


En Normandie, une fontaine à laquelle on attribue le pouvoir de se déplacer, est en relation avec la fin du monde :
« La fontaine de Saint-Berthevin s'approche chaque année de l'église de la longueur d'un pas d'homme;
quand elle sera arrivée au pied du temple, le Jugement dernier aura lieu
. »

 

A Saint-Pôan (Côtes-d'Armor), un énorme chêne, qui n'est autre qu'un homme métamorphosé en arbre par une fée, empêche une source de déborder;
si on l'arrachait, le pays serait inondé à cent lieues à l'entour.

 

Des reptiles d'un caractère mystérieux ou fantastique viennent se baigner ou se désaltérer dans les sources;
telle : la Vouivre, qui se montre aussi sur le bord des étangs et des ruisseaux, est le plus merveilleux et le plus connu des reptiles qui hantent les fontaines.
C'est un serpent ailé dont le corps est couvert de feu; son œil est une escarboucle* admirable dont il se sert pour se guider dans ses voyages à travers les airs.
Suivant quelques témoignages oculaires, c'est un globe lumineux qui le précède d'une coudée.
La vouivre du château de Gemeaux (Côte d'Or) se baignait dans la fontaine de Gemelos, entre deux et trois heures de l'après-midi.
Si on la surprenait, elle relevait son capuchon sur sa tête.
Lorsque ces serpents ailés avaient soif, ils déposaient leur diamant au bord de l'eau, dans la crainte de le perdre ou pour éviter qu'il fût terni.
Plusieurs aventuriers essayèrent de prendre la pierre merveilleuse; mais peu y réussirent.
La vouivre qui venait autrefois se désaltérer à la source de Condes fut cependant dépouillée par un homme du pays.
Il imagina de se blottir sous un cuvier** et de le poser sur le diamant pendant que la vouivre était à boire.
A son retour, ne trouvant plus son œil, elle se précipita avec fureur sur le cuvier.
Mais le rusé villageois l'avait hérissé de clous dont les pointes se présentaient au-dehors, et c'est en s'y blessant à plusieurs reprises que l'aveugle serpent succomba.


* Gemme rouge d'un vif éclat (ancien nom des grenats rouges et du rubis).
** Cuve à lessive.
Plus d'infos sur la Vouivre : http://crdp.ac-besancon.fr/



Les fontaines sont aussi le théâtre d'une série de consultations, en général clandestines.
Les plus nombreuses sont celles qui ont trait au mariage; l'épingle est l'agent le plus employé.
Un des plus anciens exemples nous a été conservé par un homme qui en avait été le témoin dans sa jeunesse.
Il se préparait à quitter Sens, lorsqu'il fut invité à assister à la fête de l'épingle.

« Des jeunes personnes vont jeter une épingle dans une fontaine dédiée à Vénus, pour savoir si elles seront mariées dans l'année.
Si l'épingle se précipite au fond sans reparaître, elle enfouit avec elle le plus doux espoir;
mai si elle reste à la surface de l'eau, c'est le signe enchanteur d'un prochain hyménée, et les roses du plaisir s'épanouissent sur le front virginal de la jeune personne. »

En Poitou, dans les Vosges, et dans plusieurs parties de la Haute-Bretagne, la jeune fille est assurée de se marier dans l'année si l'épingle descend sans faire de tourbillon.

Aux environs de Pont-l'Abbé, si l'épingle, tombant à plat, tourne sur elle-même avant de couler au fond, la jeune fille se mariera dans l'année;
si elle se dérobe en signes inégaux, elle restera fille.

Lorsque l'épingle jetée dans la fontaine de Saint-Gobrien, dans le Morbihan français, descend la tête en bas, la jeune fille trouvera un époux avant l'an révolu.

Divers objets remplissent dans ces consultations un rôle analogue à celui de ces objets de toilette.

Quand une jeune fille jette des morceaux de poteries dans la fontaine de Saint-Derrien-en-Penmarc'h (Côte d'Armor), le nombre de bulles d'air qui montent à la surface lui indique combien d'années elle devra attendre un mari.

La fontaine de Saint-Efflam, à Plestin-les Grèves, (C. d'A) est l'objet d'une consultation apparentée :
elle consiste à poser sur le canal qui en sort, deux petits morceaux de pain, dont l'un représente la jeune fille et l'autre le garçon.
Ce canal s'élargit et forme une sorte de bassin où il y a un remous, dont l'eau, après avoir tourbillonné se rend dans un déversoir.
Il est nécessaire, pour que le mariage soit prochain et probable, que durant tout ce trajet, les deux morceaux flottent en conservant la distance qui les séparait au début de la course;
s'ils s'éloignent, le mariage n'aura pas lieu de si tôt, et peut-être ne se fera-t-il jamais.

Un autre usage relevé en Normandie fait intervenir des cierges ou des chandelles auprès des sources.

La fontaine de Virginie, qui se trouve à environ cinq kilomètres de Villerville (Calvados) est alimentée par une belle source qui sort du pied d'un vieux hêtre.
Une jeune fille, tuée en cet endroit dans des circonstances passionnelles, aurait été enterrée sous le vieil arbre, et ce serait cette circonstance qui aurait donné naissance à la pratique suivante :
Les jeunes filles qui veulent se marier doivent aller seules au bord de la fontaine et y allumer une chandelle neuve.
Si celle-ci brûle jusqu'au bout, la jeune fille se mariera dans l'année, si elle s'éteint, il faut attendre.

 

Les événements futurs se retracent parfois sur le cristal des fontaines comme sur une sorte de glace magique.

Le jour de la pleine lune, à minuit juste, le jeune homme qui se trouvait seul à la fontaine de Barenton voyait, si le sort devait lui être favorable, l'image de sa bien-aimée sur le miroir limpide de la source.
De même la jeune fille voyait le portrait de celui qu'elle devait épouser; si rien n'était apparu, c'était un mauvais présage.

En Berry, le jour de la Saint-Jean, la jeune fille en s'inclinant aux premiers rayons de l'aurore sur une source y verra se refléter, à côté de sa propre image, celle de son futur.

 

Quelques fontaines sont appelées à attester la pureté des personnes pour lesquelles on les consulte.

Il y a une cinquantaine d'années les fiancés venaient, quelques jours avant le mariage, tremper un doigt dans une fontaine dite de Saint-Gengout, à Chassericourt, dans l'Aube;
si ce doigt en sortait mouillé, c'est que son possesseur serait infidèle, s'il était sec sa fidélité était certaine.

Saint Gengoul ayant des doutes sur la vertu de sa femme, qu'il avait laissée seule pour guerroyer, eut une vision, où un ange lui désigna une fontaine située à Choiseul, en l'engageant à demander à la châtelaine de plonger le bras dans son eau.
« Si elle est innocente, dit l'ange, nul mal ne lui arrivera. »
Le lendemain, Gengoul proposa à sa femme de visiter leurs terres du Bassigny.
Au milieu du jour, ils arrivèrent à la fontaine miraculeuse, et Gengoul y plongea son bras jusqu'à l'épaule, en engageant sa compagne à en faire autant.
Elle le fit en se jouant, mais son rire fit place à la stupeur quand elle retira le bras couvert de plaques violettes et noires, d'ulcères et de suppuration.
Gengoul alla s'enfermer dans un ermitage, et depuis, la fontaine sert d'éprouvette pour la vertu des femmes et des filles.

Dans l'Aube, le bras de l'épouse d'un croisé soumis à la même épreuve dans la fontaine de Saint-Georges à Etourvy en sortit complètement desséché.
Cette fontaine bouillonnait aussi et se troublait lorsque ceux qui avaient forfait à l'amour conjugal se trouvaient dans son voisinage immédiat.
Dans l'Orne, celle de Saint-Cénéry-le-Léger retenait ses eaux toutes les fois qu'une femme criminelle s'en approchait.

 

Celui qui veut savoir combien de temps il lui reste à vivre va se pencher, la première nuit de mai, sur le coup de minuit, sur la fontaine du Trépas à Plouégat.
S'il doit mourir sous peu, au lieu de son image vivante, c'est la tête qu'aura son squelette qui lui apparaîtra.

Ce genre de consultation est plus fréquemment employé par les gens qui, ayant été mordus par des chiens suspects d'hydrophobie, désirent être renseignés sur la gravité de leur cas.
Ils se rendent à la fontaine de Saint-Gildas et le rustique miroir de l'eau donne un diagnostic certain;
Si l'image du chien se reflète sur la surface de l'onde, le sujet est enragé, sinon il n'est pas malade.

Suivant la croyance du cap Sizun, les chiens enragés sont obligés, avant de mourir, de venir rendre compte de leur conduite à saint Tugen de Primelin.
Celui qui a été mordu doit tâcher de devancer le chien, et pour cela il court à la chapelle, fait trois fois le tour de la fontaine et regarde au fond de l'eau.
Si celle-ci reflète sa figure, il peut se rassurer, le saint a entendu sa prière et il l'a exaucé.
Si l'eau reproduit l'image du chien, c'est que l'animal est déjà passé, et a caché à saint Tugen ce qu'il a fait;
le saint n'a plus de pouvoir et le patient tombe de rage à l'instant.


Suite…


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