Astres et phénomènes atmosphériques

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La nuit (suite)

Les fées qui, suivant des légendes en voie d'effacement, se montrent au crépuscule, et qui accomplissent des gestes assez nombreux au clair de lune, dans le voisinage de leurs demeures, apparaissent rarement aux hommes pour les effrayer ou les égarer, à moins qu'ils ne s'aventurent trop près des endroits où elles se divertissent.
Les lutins au contraire se présentent souvent encore sous l'apparence de nains, de feux follets et de quadrupèdes divers;
mais ainsi que ceux des fées, une grande partie de leurs actes est localisée dans le voisinage des eaux, des forêts, des gros blocs et des monuments mégalithiques.

Les apparitions les plus fréquentes et les plus redoutées sont celles du Diable, de la Mort en personne et des défunts;
suivant une croyance très répandue, la Terre leur appartient pendant les ténèbres.

Minuit est la grande heure, celle des merveilles et des épouvantements;
c'est quand elle sonne qu'à certaines époques la terre ou la mer s'écartent pour laisser à découvert les édifices engloutis ou les trésors cachés.

Suivant une croyance bretonne, les morts ouvrent alors les yeux, et presque partout c'est le moment où les hommes sont le plus exposés à la rencontre et aux entreprises des puissances nocturnes.

Les défunts qui, en raison d'actes accomplis pendant leur vie, ne restent pas tranquilles dans leur couche funèbre, ne sortent pas toujours du cimetière :
on les y voit agenouillés sur des tombes ou groupés au pied du calvaire;
quelquefois ils se promènent et même dansent une sorte de ronde.

Si on interrompt la pénible station qu'ils font parfois depuis de longues années, ils doivent la recommencer, fussent-ils arrivés à la dernière nuit;
aussi ils se vengent, d'une façon terrible, de ceux qui leur ont causé ce préjudice.

Les revenants que l'on peut rencontrer quand ils se rendent à leurs lieux de pénitence, lorsqu'ils s'acheminent vers leur ancienne demeure, ou lorsqu'ils retournent au cimetière, sont légion;
mais plus nombreux encore sont ceux qui errent par les champs et par les chemins, jusqu'à ce que leur temps d'épreuve soit achevé;
eux aussi punissent les gens qui les ont molestés, ou qui leur ont simplement manqué d'égards.

Quelques revenants, loin d'être animés de mauvaises intentions à l'égard des voyageurs de nuit, implorent au contraire leur bienveillance.
Au lieu de rester silencieux et de ne répondre que si on les a interrogés, en les tutoyant, ils répètent d'ordinaire, avec un accent d'angoisse, une phrase ou une exclamation par laquelle ils cherchent à révéler leur présence au passant, et à provoquer la réplique ou l'acte nécessaires pour mettre fin à leur pénitence.

Suivant une tradition constatée dans beaucoup de pays, celui qui a déplacé une borne est condamné à la porter dans ses bras, sur son épaule ou sur sa tête, jusqu'à ce qu'il l'ait remise en place.
Le cri qu'il pousse :
« Où la mettrai-je ? »
indique qu'il ne peut retrouver l'endroit d'où il l'a frauduleusement enlevée.
Sa pénitence est terminée lorsqu'un chrétien lui a répondu :
« Mets-là où tu l'as prise. »

Dans le Luxembourg belge, un revenant criait ainsi tous les soirs, parce qu'il avait déplacé à son profit la borne d'un bois qui appartenait par parties à divers propriétaires.
Il fut résolu que tous les chefs de famille se rendraient à l'endroit où se faisait entendre l'âme coupable.
Dès qu'elle eut poussé son cri : « Où la mettrai-je ? »,
les gens qui s'étaient rassemblés près de là crièrent à l'unisson par trois fois :
« Mets-là où tu l'as prise ! »
et depuis on ne l'entendit plus jamais.
Parfois le revenant s'approche de la personne charitable et la remercie de l'avoir affranchi du supplice qu'il subissait depuis de longues années.
On disait dans les Ardennes que, lorsqu'on retrouvait la borne remise en place, elle était toute noire et présentait des taches rouges, dues à la pression des doigts brûlants du coupable.

 

Suivant une croyance, constatée surtout dans le Centre, les enfants sortent chaque nuit des limbes, et reviennent sur terre, en attendant, pour entrer en Paradis, qu'un passant veuille bien leur servir de parrain et les baptiser.
Un vigneron du Puy-de-Dôme, parti de bonne heure pour aller à sa vigne, se vit un peu avant le lever du soleil, entouré d'une multitude d'enfants, tout habillés de blanc, encore plus petits que des nouveaux-nés, qui se pressaient autour de lui en criant :

« Ce n'est pas ton parrain, c'est le mien ! »

Le vigneron comprit ce qu'ils demandaient; il prit de l'eau dans un ruisseau qui coulait près de là et les aspergea en disant :

« Je suis votre parrain à tous, mes enfants ! »

Quand il eut prononcé les paroles du baptême, ils disparurent en criant :

« Grand merci, parrain, grand merci !

 

b - Les cercueils

La rencontre des cercueils est aussi redoutée que celle des morts eux-mêmes;
du reste ils contiennent presque toujours un trépassé.

Cette apparition se manifeste sous deux formes :
la première, caractérisée par la localisation et l'immobilité du cercueil, n'a jusqu'ici été constatée que sur quelques points de l'ouest;
en Basse-Normandie, les châsses sont en équilibre sur l'échalier des cimetières, ou, comme en Haute-Bretagne, posée sur ceux des champs;
dans ce dernier cas, pour passer sans dommage, il faut les retourner bout par bout, avec respect, et les remettre exactement à la même place.

Les cercueils qui se montrent par les chemins ou par les sentiers, de façon à barrer la route aux passants, sont connus dans un grand nombre de pays.
Il semble que leur apparition est parfois provoquée par un acte du voyageur :
en Provence, « une caisse de mort », avec quatre cierges allumés, se présente à celui qui, oubliant la recommandation des anciens, s'est signé à la vue d'un feu follet.

Ailleurs les châsses surgissent sans que celui qui a la mauvaise chance de les rencontrer y soit pour rien.
En Basse-Normandie, un homme racontait qu'une nuit son grand-père vit une bière posée en travers, devant les pieds de son cheval;
il la contourna; à cinq mètres plus loin, il y en avait une nouvelle;
quand il revint en arrière pour s'assurer si la première s'y trouvait encore, elle avait disparu.

On connaît divers moyens de faire cesser cette apparition ou de passer sans danger;
en Provence, pour éviter que la caisse de mort ne suive le voyageur jusqu'au lever du soleil, il suffit qu'il la prenne sous son bras et la tourne de côté sur le bord du chemin.
En Basse-Normandie, il faut s'approcher avec respect de la bière, la retourner bout par bout, et la remettre à la même place.

Des punitions attendent ceux qui n'ont pas été respectueux;
en Berry, le voyageur qui sauterait par-dessus la châsse serait sûr de ne pas retrouver son chemin;
des paysans bas-normands ayant enjambé un cercueil furent battus par des mains invisibles;
un garçon de la Haute-Bretagne, qui avait donné un violent coup de pied à une châsse placée en travers de la route, la vit se dresser debout comme une personne, et marcher à sa suite en répétant :
« O ma tête. »

 

c - La mort

C'est en pays bretonnant que l'Ankou (la mort en personne), la plus dramatique et la plus redoutée des hantises de la nuit, a été surtout relevée.
d'après Boucher de Perthes, lorsque quelqu'un devait mourir, on entendait un bruit sourd et prolongé, celui du char de la mort; il s'arrêtait à la porte de la victime désignée, et l'on entendait frapper très fort.

D'après Souvestre, le bruit du Karr an Ankou rappelle celui d'une charrette non ferrée;
il est couvert d'un drap mortuaire, traîné par six chevaux noirs, et conduit par l'Ankou;
celui-ci tient à la main son fouet de fer et répète sans cesse :
« Détourne ou je te détourne ! »
Il va chercher ceux qui vont mourir.


Dans le Morbihan, l'Ankou emporte sur sa charrette grinçante attelée d'un squelette ceux qu'il a moissonnés dans sa tournée;
parfois le véhicule n'est, en ce pays, qu'un avertisseur de trépas.


A Pontchâteau, (Loire-Inférieure), le chariot qui présage aussi un décès est parfois une petite voiture traînée par des chiens.


En-dehors de la péninsule armoricaine, la tradition a été relevée seulement dans la partie de la Basse-Normandie qui en est voisine :
la charrette des morts, traînée par des bœufs noirs, ne parcourait que les vieux chemins abandonnés, jamais les champs, parce qu'ils sont bénis;
elle portait une bière couverte de son drap blanc et entourée de cierges allumés;
celui qui se trouvait sur son passage devait se ranger sans rien dire.

Vers 1840, une apparition du même genre se montrait dans un faubourg de Dieppe et elle était ainsi décrite :
au Pollet, un char funèbre parcourt à minuit, le jour des Morts, les rues de la ville;
il est attelé de huit chevaux blancs, et des chiens blancs le précèdent en courant. On distingue quand il passe les voix de ceux qui sont morts dans l'année.

C'est pour ceux qui le voient le présage d'une mort prochaine, aussi on se hâte de fermer ses portes dès qu'on l'entend.

 

d - Les esprits

Beaucoup d'esprits des ténèbres, lutins appeleurs ou porte-feux, lavandières de nuit, sont localisés au bord des eaux ou dans le voisinage immédiat de circonstances physiques remarquables :
c'est pour ainsi dire leur domaine, dont ils ne s'écartent guère, et il est rare qu'ils s'attaquent à ceux qui en passent à distance respectueuse.

D'autres, tout aussi nombreux, n'ont point de résidence fixe :
on est exposé à les rencontrer dans les champs, par les sentiers, et même par les chemins, surtout aux carrefours, les lieux de prédilection du diable, des revenants et des bêtes sorcières.
Ils surgissent inopinément devant les voyageurs, ou, invisibles, manifestent leur présence par des bruits ou par des clameurs.


C'est ainsi que les esprits crieurs ne se tiennent pas toujours auprès de l'eau;
parfois leur appel part de quelque coin du champ ou de la lande : les hoppers de Basse-Bretagne, les houpeurs de Haute-Bretagne, les houpeux de Picardie, imitent la voix des hommes pour les tromper, et souvent ils foulent et renversent ceux qui leur répondent;

les « Criards » du Pas-de-Calais appelaient les passants pendant les nuits obscures et traînaient par les cheveux les gens qui commettaient la même imprudence.

Au commencement du siècle dernier, on redoutait, en Basse-Bretagne, la Scrigérez nooz, la crieuse de nuit, qui poursuivait les gens en poussant des cris plaintifs.

En Alsace, le passant isolé qui n'a pas soin de se taire, au moment où la chasse sauvage est dans les airs et lui crie son nom, est saisi par les puissances des ténèbres et doit errer toute la nuit par la forêt;
dans le Mentonnais, le voyageur ne doit pas répondre à celui qui lui parle.

Il est bien d'autres actes dont il faut s'abstenir lorsqu'on se trouve dehors pendant la nuit;
il est surtout dangereux de siffler, car le diable ou les esprits ne tardent pas à s'approcher de l'imprudent.

On doit aussi s'abstenir de suivre les lueurs que l'on voit sur son chemin, car ce sont souvent des lutins qui conduisent à quelque précipice;
on croit même dans le Morbihan que, si on reste à regarder un feu follet, on perd la vue.


Il est souvent dangereux de travailler dans les champs lorsque la nuit est complète.


En Basse-Normandie, on risque de voir des hommes sans tête, des follets et, comme on dit dans le Val-de-Saire, « des mauvaises gens qui font peur et mal ».

En Haute-Bretagne, le diable vient se placer près du laboureur, fait le même ouvrage que lui, et l'emporte même, s'il continue sa besogne.

Aux environs de Fougères, on recommande aux femmes enceintes de ne pas s'aventurer hors de leur logis entre l'angélus du soir et celui du matin, car elles pourraient être rencontrées ou foulées par de grandes bêtes noires.
D'après une croyance très répandue, l'homme qui va seul, la nuit, chercher une accoucheuse, peut faire les plus fâcheuses rencontres;
à Lille, on disait qu'une main invisible lui donnait des soufflets.

Dans les Ardennes, on peut se débarrasser des esprits en déchirant du papier en petits morceaux et en les semant sur la route;
sans doute, comme certains lutins, ils s'amusent à les ramasser et oublient le passant.

A minuit, on entend dans les montagnes d'Aré, ou sur les îles désertes de la côte, une cornemuse dont les sons n'ont rien de terrestre;
jamais on n'a pu voir celui qui en joue, mais elle annonce que les aïeux vous attendent.

Vous les trouvez ordinairement réunis au pied d'un chêne ou autour de la pierre druidique : un tison embrasé vous indique où ils sont.

 

e - Les chasses aériennes

Les chasses fantastiques, connues dans toute l'Europe, mais surtout dans les régions du Nord et du Centre, sont en France l'objet d'un grand nombre de récits.
Tantôt elles parcourent les forêts ou leur voisinage, tantôt elles ont lieu dans les régions de l'air.

La superstition qui attribue des origines merveilleuses ou terribles aux bruits nocturnes que l'on entend dans les airs est fort ancienne :
on a cru qu'ils étaient produits par des armées en marche ou en bataille qui parcouraient le ciel, ou par des chasses de l'autre monde.
Toutes les deux sont vraisemblablement dues à des phénomènes naturels, agrandis et déformés par la crainte ou la difficulté d'explication.
Ainsi que le conjecturait un curé de Villedieu (Basse-Normandie) elle a pour origine les migrations des oiseaux de passage, tels que les courlis, les oies et les canards sauvages qui l'hiver, traversent le ciel en nombreux et bruyants bataillons.
En été, ce sont également des oiseaux migrateurs qui, volant dans les airs à de grandes hauteurs, produisent des bruits que l'on prend pour des aboiements de chiens.

Dans la croyance des paysans, comme dans celle des forestiers, les personnages qui prennent part à ces chasses expient des actes sacrilèges, plus rarement des cruautés.
Ils ont aimé ce divertissement au point de violer pour satisfaire leur passion les lois de l'église, et de ravager les récoltes sur pied.
Ils sont punis par où ils ont péché, et doivent poursuivre sans relâche, jusqu'à la fin des siècles, un gibier que, d'après certains récits, ils n'atteindront jamais.

Plusieurs de ces chasses, bien qu'en général elles soient conduites par des personnages surnaturels, ne poursuivent pas un gibier imaginaire.
Si on a le malheur de demander une part de prise, on s'expose à voir tomber près de soi des membres humains ou des corps entiers arrachés à la tombe.
Un jeune paysan berrichon, ayant proféré ce souhait, vit choir dans l'âtre un tronçon de chair humaine à demi putréfié;
en Bourbonnais, une voix répondit à semblable demande :
« Voici ta part ! »,
et soudain un bras ensanglanté vint s'abattre sur le foyer, près de l'homme.

 

f - Les musiciens

Dans les Vosges, si la Maisnieye Hennequin, troupe de musiciens invisibles qui traverse les airs pendant les nuits d'été, passe au-dessus de la tête de quelqu'un, alors qu'il est en rase campagne, il doit se coucher à plat ventre et faire le mort en appelant saint Fabien à son secours;
autrement il est étouffé ou écrasé, ou enlevé par un tourbillon et transporté dans un pays inconnu, sans espoir de retour.
Si l'on est à sa fenêtre, il faut se hâter de la fermer pour ne pas recevoir à la tête des morceaux de bois, des cailloux, et jusqu'à des ossements volés dans les cimetières.
Quand la fenêtre est fermée, on peut regarder impunément la Maisnieye.

Si les gens attardés que le chasseur nocturne d'Alsace rencontre sur sa route n'ont pas soin de se coucher au milieu du chemin, ils sont coupés en deux ou emportés dans les airs ainsi qu'une feuille sèche, comme cet homme qui fut un jour enlevé au milieu de ses compagnons de route et transporté du Lerchenfeld, près de Saint-Gangolf, jusqu'au Bollenberg;
dans son vol rapide par-dessus le Schœferthal, il faillit se donner une entorse en heurtant le clocher de la chapelle.
Il se recommanda à la Sainte Vierge, et fut doucement déposé sur le gazon de Bollenberg.


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