La Terre et le monde souterrain

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III. Les forêts (suite)

d - Les lutins

Un esprit qui se cache dans un fouillis d'arbres se nomme dans le pays de Vaud le Nion-nelou, nul ne l'entend.

La petite forêt de Montoie, dans le Jura bernois, est la résidence du foulta, lutin qui fait le mal aux hommes et aux animaux;
les campagnards disent qu'ils l'aperçoivent sous la forme d'un feu qui circule dans le bois et qui semble les suivre.
Beaucoup de personnes n'osent encore s'aventurer seules dans cette forêt.

Dans l'Argonne, les hannequets sont de petits hommes qui se promènent sous bois pendant la nuit avec des flammes rouges en guise de chapeau.

 

En Basse-Bretagne, où les nains sont désignés d'après leurs attributions, ceux des bois s'appellent Kornikaned, parce qu'ils chantent dans des petites cornes qu'ils portent suspendues à leur ceinture.
Ils semblent avoir laissé peu de traces dans les traditions;
quelques autres, comme les Poulpicans, s'amusent à faire entendre une clochette sous le couvert, pour tromper les petits pâtres qui cherchent leurs chèvres égarées.

 

Autrefois à Cosnay, dans les Ardennes, les femmes qui lavaient au ruisseau des Goulets, dans le fond d'un bois, ne voyaient ni n'entendaient rien d'extraordinaire lorsqu'elles étaient en grand nombre;
mais n'étaient-elles que trois ou quatre, elles entendaient, à peine arrivées, des cris étranges, et, plus particulièrement ces mots :

« O Couzzietti ! O Moule de Coutteni ! »

puis les cris se rapprochaient, les arbres tremblaient, les branches s'agitaient et se cassaient, et enfin les laveuses apercevaient dans les éclaircies de tout petits nains grimaçants qui s'approchaient par bonds du ruisseau.
Affolées, elles s'en allaient au village, abandonnant le linge, et lorsqu'elle revenaient en grand nombre, les gnomes ainsi que le linge avaient disparu.

 

Il y a deux cents ans environ, une cuisinière, qui venait d'officier à une noce, traversait à la nuit close le bois de Noyers.
Tout à coup, à une clairière, elle vit plus de soixante felteus, rangés en trois cercles concentriques autour d'un grand feu.
Le plus large était composé des palefreniers brossant, étrillant, nattant la crinière des plus beaux chevaux du pays;
ceux-ci se laissaient faire, car ils plongeaient jusqu'aux yeux leurs mâchoires dans des musettes remplies d'avoine.
Dans le second cercle des violoneux jouaient les airs les plus suaves en battant une mesure désordonnée.
Le cercle le plus rapproché du feu était formé par les marmitons, occupés à plumer les volailles, à peler les légumes que la cuisinière reconnut pour lui avoir été dérobés pendant la noce.
Au moment où elle constatait ce larcin, le père Felteu, un vieux à grande barbe blanche, haut de deux pieds, vêtu comme ses compagnons d'une veste, d'une culotte et d'une toque rouge, l'aperçut.
Il fit signe aux autres, qui se levèrent en gambadant, sautant et riant comme des fous.
Ils l'entourèrent dans une ronde endiablée et chantant à tue-tête sur l'air de Malbrough :

Voilà la cuisinière
Par la grâce de Dieu,
Qui va faire bonne chère
Au bon p'tit felteu.

La cuisinière avait eu peur, mais ces petits hommes n'avaient après tout que la renommée d'être farceurs;
elle se rassura tout à fait en les entendant chanter par la grâce de Dieu, et elle se dit qu'ils ne lui feraient point de mal.
Ils lui apprirent qu'on attendait depuis une heure le felteu cuisinier.

« N'est-ce que cela, dit-elle, mais je vais vous en faire moi de la cuisine, et de la crâne encore. »

Et retroussant ses manches, elle s'approcha du feu.
Les nains se mirent à gambader, à sauter, apportant tout ce qu'il fallait pour le repas.
Le dîner fini, la cuisinière prit, selon l'usage, sa grande cuillère à pot et fit le tour de la société.
Chaque felteu y mit au moins une pièce d'or;
quant au vieux, il y déposa cinq doubles louis à la lunette.
En ce moment parut la première lueur de l'aurore, et avec elle disparurent les nains et toute trace de leur repas.

 

Les époques des solstices d'été ou d'hiver qui, en d'autres endroits, sont marqués par des merveilles, ne semblent guère connues des forestiers.
On en rencontre pourtant la trace en Gascogne.
Un homme qui, la nuit de la Saint-Jean, s'était endormi dans une forêt de la Grande-Lande au pied d'un sapin, se réveilla à minuit entendant des cris qui partaient du haut des arbres et de sous terre;
il vit tomber des esprits de toutes formes, mouches, vers luisants, etc., et de terre, avec des lézards, des grenouilles ou des salamandres, sortaient des formes d'hommes et de femmes, hautes d'un pouce et vêtues de rouge, avec des fourches d'or à trois pointes, et ces esprits chantaient en dansant :

Toutes les herbettes
Qui sont dans les champs
Fleurissent et grainent
Le jour de la Saint-Jean.

Et leur bal dura jusqu'à l'aube.

 

e - Les hommes de la forêt et les géants

Dans les personnages des forêts, il est une catégorie qui semble peu nombreuse et dont les caractères sont assez vagues;
ce ne sont à proprement parler ni des esprits, ni des revenants.
Faute d'une meilleure classification, je les range sous la rubrique « hommes » par laquelle le peuple les désigne.

Des paysans voisins de la forêt de la Hunaudaye (C.-d'A.) parlaient avec terreur « d'hommes blancs » non seulement de vêtements, mais de figure, qui se montraient sur la lisière, surtout aux femmes pendant l'été, en plein jour.
En 1901, des gens, qui passaient la nuit en voiture par la route qui la traverse, disaient qu'ils avaient vu aussi des « hommes blancs » se mouvoir dans le sous-bois;
ce n'étaient que les troncs blanchâtres de gros bouleaux qui semblaient se déplacer et dont leur imagination avait fait des fantômes.

Dans plusieurs pays, ces « hommes » servent à expliquer des phénomènes de la forêt, dont les rustiques ne se rendent pas facilement compte.

En Berry, les reflets du soleil couchant sous les grands ombrages ont donné naissance à l'homme de feu ou de fer rouge ou simplement de bois de vergne, qui court de tige en tige, brisant ou embrasant.
L'homme de feu est aussi nommé Casseu' de bois.
Il prend diverses apparence et joue divers rôles, selon les localités.
Il n'est pas toujours flamboyant et incendiaire et se fait entendre plus souvent qu'il ne se montre.
Dans les nuits brumeuses, il frappe à coups redoublés sur les arbres, et les gardes, croyant qu'ils ont affaire à d'audacieux voleurs de bois, courent au bruit et aperçoivent quelquefois le pâle éclair de sa puissante cognée.
Mais ces grands arbres que l'on entendait crier sous les coups, et qu'on s'attendait à trouver profondément entaillés, n'en portaient pas la moindre trace.
Le Casseu' ou le Coupeu' ou le Batteu', car le fantôme porte tous ces noms, est quelquefois le génie protecteur de la forêt qu'il a prise en affection;
il faut se garder de toucher aux arbres sur lesquels il a frappé pour avertir de sa prédilection.
(G. Sand)

 

Le bois de Couasse en Auvergne était fréquenté par l'homme de fer, qui, passant à travers, brisait les chênes et les sapins comme des allumettes.

 

C'est dans la forêt que les contes littéraires, et parfois aussi ceux du peuple, placent le séjour de l'ogre qui mange les petits enfants, et même les adultes.
Des personnages qui lui sont apparentés figurent dans des légendes locales.
Il y eut jadis dans la forêt d'Ardennes un ogre appelé l'homme rouge.
Une jeune fille, qui allait en pèlerinageà Attigny avec une de ses compagnes, se perdit en traversant la forêt.
Comme elles cherchaient à retrouver leur chemin, elles virent venir un homme tout de rouge habillé, et lisant dans un livre sans lettres, qui leur dit :
« Vous vous êtes égarées, mes belles filles, suivez-moi. »
Après avoir marché deux heures, elles arrivèrent à une maison que cachaient de grands rochers et des arbres épais.
Elles y entrent et voient un homme rouge faisant cuire des membres humains dans un immense chaudron;
Elles veulent fuir, mais la porte était déjà fermée :
« Où iriez-vous ? leur dit l'homme rouge;
il fait noir, vous vous perdriez encore dans les bois, montez vous coucher. »
C'est ce qu'elles firent;
mais elles ne s'endormirent pas, car elles avaient peur et les ogres mangeaient d'une façon bruyante.
Puis, le repas terminé, ce fut un bruit de couteaux qu'on aiguisait;
heureusement les jeunes filles purent s'échapper par la lucarne, au moment où l'homme rouge entrait dans la chambre pour les égorger.

 

Le roi de la forêt de Brocéliande était un immense géant tout noir n'ayant qu'un pied et qu'un œil, auquel obéissaient docilement les bêtes de la forêt;
d'un cri, il les rassemblait auprès de lui, et les lançait, s'il voulait, contre ses ennemis.

 

Autrefois, les jeunes filles d'Emordes tiraient au sort chaque année pour savoir laquelle irait trouver un géant qui l'attendait au milieu de la forêt.
Un jour, un chevalier intrépide, ayant rencontré une de ces victimes éplorées, l'accompagna et tua le monstre.

 

On connaissait autrefois dans la forêt de Lyons, en Normandie, un être mystérieux qui en voulait aux femmes et manifestait sa présence par des cris.
Voici en quels termes en parle un voyageur du commencement du 17ème siècle :
« L'on contoit que du temps de Charles IX, roi de France, il y avoit en cette forest un fantosme que l'on appeloit
"Foitteur" par tant que les femmes qui passoient par cette forest, se trouvoient si bien foittées que les marques demeuroient au corps, sans que pourtant elle veissent personne.
Et tout incontinent se faisoit par la forest ce cri : Ha ! ha ! ha !
Charles IX, qui aimoit à chasser dans cette forest, s'estant fait sérieusement enquester de cela, trouva que c'estoit chose véritable.
»

 

f - Les bruits de la forêt et les chasses fantastiques

Dans sa belle description des enchantements de la forêt de Marseille, Lucain parle des arbres qui, sans recevoir dans leur feuillage le moindre souffle de vent, se hérissaient et frissonnaient d'eux-mêmes.
Ce phénomène qui, il y a près de deux mille ans, frappait les Gaulois de terreur, était regardé avec crainte au milieu du 19ème siècle par des paysans, qui lui attribuaient une origine surnaturelle.

Vers 1840, les habitants d'un village du Bugey furent très effrayés de voir les arbres d'un petit bois se tordre avec des bruits affreux, tandis que d'autres, dans la même vallée, restaient immobiles :
le propriétaire essaya vainement de l'expliquer par un tourbillon;
les gens sont restés convaincus qu'une légion d'esprits aériens était tombée comme une trombe sur le bois, et qu'ils avaient attristé le vallon des cris de leurs douleurs.

Une femme des Abrets (Isère), témoin d'un phénomène semblable, racontait à D. Monnier en 1843 que, deux ans auparavant, étant allée voler du bois dans une forêt, tous les arbres autour d'elle s'étaient mis à se plier et à se tordre sans qu'il fit du vent.
Elle disait que ce fait était dû à des esprits en voyage.

En Alsace, le géant de la forêt de Kasten faisait s'élever un ouragan qui secouait les arbres et les buissons.

 

Le bruit du vent dans les arbres qui produit parfois des harmonies si curieuses et si impressionnantes, surtout s'il s'y mêle le son de quelque instrument lointain, a donné naissance à des légendes.

On a autrefois entendu, après le crépuscule, les sons d'une lyre dans les bois qui avoisinent Cithers.
Il faut se hâter de fuir, en se bouchant les oreilles, du côté opposé à celui où retentissent les magiques accords;
autrement on se sent entraîner par une force irrésistible.
Ceux qui n'ont pas pu se soustraire à ce charme puissant ont eu les visions les plus étranges :
la mousse de la forêt se couvrait de fleurs étincelantes comme des diamants;
du sein des arbres, aux branches d'or et d'argent, sortaient des femmes nues d'une grande beauté, et partout dans les airs, on entendait l'invisible lyre.
Mais toutes ces merveilles étaient insaisissables.
Le prestige ne s'évanouissait qu'aux premiers rayons du jour :
alors des rires moqueurs succédaient aux mélodieux chants de la nuit, et celui qui s'était laissé prendre était tout étonné de se trouver au milieu d'une mare ou parmi les ronces.

 

Certaines forêts sont hantées par des personnages bruyants qui appartiennent à l'autre monde :
tantôt ils apparaissent isolément, tantôt ils sont nombreux, soufflent dans des instruments sonores et sont accompagnés de chiens fantastiques.
Le Grand Veneur, que l'on appelait quelquefois monsieur de Laforêt, est le plus célèbre.
L'historien Mathieu, et plusieurs autres contemporains en ont parlé.
Dom Calmet ne manque pas de le citer dans sa dissertation bien connue.
« Je tire, écrit-il, des Mémoires de Sully, qu'on vient de réimprimer, un fait singulier.
On cherche encore, dit l'auteur, de quelle nature pouvoit être ce prestige, vu si souvent par tant d'yeux dans la forêt de Fontainebleau;
c'étoit un Phantôme environné d'une meute de chiens dont on entendoit les cris, et que l'on voyoit de loin, mais qui disparoissoit lorsqu'on s'approchoit.
La note de M. de l'Ecluse, éditeur de ces Mémoires, entre dans un plus grand détail.
Il marque que M. de Perefixe fait mention de ce Phantôme et il lui fait dire d'une voix rauque l'une de ces trois paroles :
" M'attendez-vous ou m'entendez-vous ou amandez-vous. "
Le Journal de Henri IV et la Chronologie septennaire en parlent aussi et assure même que ce phénomène effraya beaucoup Henri IV et ses courtisans.
Bongars en parle comme les autres et prétend que c'étoit un chasseur qu'on avoit tué dans cette forest du temps de François Ier, mais aujourd'hui il n'est plus question de ce spectre. »
Le chasseur mystérieux de cette forêt n'était peut-être pas si oublié que le croyait D. Calmet :
il serait apparu peu de temps avant la mort si brusque et si singulière du duc et de la duchesse de Bourgogne;
d'après des traditions locales, il aurait prédit à Louis XVI sa fin tragique, et plus tard au duc de Berry.

Tout près de la Cure est la roche dite du Grand Veneur, dont la légende se rapproche de celle de son homonyme de Fontainebleau.
Il apparaît quand un grand événement national se prépare.

 

Entre Cornet et Châtel, dans les Ardennes, on entendait, surtout quand l'orage grondait et entre les coups de tonnerre, des chiens aboyer, des cors sonner, une fanfare retentissante et des chasseurs crier :
« Taiaut ! »
Voulait-on fuir, une force invisible vous clouait sur place;
et alors sortant du bois, passaient comme une trombe, d'abord un millier de petits chiens blancs ayant des grelots au cou et que suivaient une centaine d'énormes molosses;
apparaissaient ensuite, ceint d'une large ceinture rouge, un hallequin entouré de ses veneurs, les uns à pied, les autres à cheval, et tous, chasseurs et chiens, à la poursuite d'un gibier imaginaire, menaient un tapage infernal.
Le ruisseau de Boulassa était franchi d'un bond, puis la chasse traversait la rivière, les chiens à la nage, les chasseurs comme s'ils eussent marché sur la glace.
Et quand la rivière avait été passée, la vision disparaissait et le bruit s'éteignait.

 

Dans la forêt de Gâvre, vers 1835, on parlait de l'apparition du Mau-Piqueur;
on le voyait faire le bois, tenant à la chaîne son chien noir et ayant l'air de chercher des pistes.
On l'appelait aussi « l'avertisseur de tristesse » et ses yeux laissaient couler des flammes quand il prononçait les mauvaises paroles :
Fauves par les passées,
Gibiers par les foulées,
Place aux âmes damnées !

Selon la croyance du couvert, l'apparition du mau-piqueur annonçait la grande chasse des réprouvés.
Sa venue était un méchant signe; mais quiconque rencontrait la chasse n'avait qu'à préparer sa bière, car ses jours étaient comptés.

Plusieurs de ces chasses étaient conduites par des seigneurs du temps passé, condamnés, comme les coryphées des chasses aériennes, à revenir éternellement en punition des cruautés qu'ils avaient exercées sur leurs vassaux.

Au temps jadis, les barons d'Aigremont (Bassigny champenoise) étaient très durs à l'égard des pauvres gens.
Un jour, on amena devant l'un d'eux un paysan qui avait pris un lièvre au lacet et l'avait fait cuire pour sa femme malade.
Le seigneur ordonna de découpler ses chiens et ils s'élancèrent sur le pauvre serf qui disparut en quelques secondes, ne laissant plus que des lambeaux sanglants, traînés par des chiens.
Le lendemain, les limiers du baron détournèrent un grand loup, inconnu dans les bois de la contrée.
La chasse commença le jour même.
Le loup prit de suite son grand défilé; les chiens le menaient rondement; mais il allait vite, si vite, qu'à chaque instant quelques-uns restaient en arrière.
Le sire d'Aigremont suivait seul cette chasse enragée;
il avait dépassé ses piqueurs, moins bien montés que lui.
Il sonnait encore le bien-aller quand son dernier chien se coucha, il en avait assez;
son cheval se coucha également.
La nuit était venue. Soudain, le loup revint sur sa passée; il se dirigea, en donnant de la voix, droit sur le baron qui, à la vue de cette gueule formidable, s'enfuit;
le chasseur fut chassé à son tour, et jamais il n'a pu s'arrêter ni être secouru.
C'est la Chasse du baron d'Aigremont.
Pendant mille ans, lui et ses ancêtres ont rançonné le pays, égorgé ses habitants; pendant mille ans il sera chassé par le loup, sans trêve ni merci.
Et c'est la voix du loup qu'on entend encore parfois dans les bois, dans le silence de la nuit.

 

A Bohan (Semois), on parlait, vers 1870, d'un seigneur du siècle précédent, qui eut un procès avec les habitants pour des bois communaux, et l'on racontait, qu'en expiation de ses rapines, il revint chasser dans la forêt de la Fargne jusqu'au jour où elle fut abattue.
Un jour un habitant de Sugny dit au cabaret qu'il n'avait pas peur du revenant, et que, s'il le rencontrait, il le ramènerait boire le petit verre.
Lorsque vers onze heures, il entra dans la forêt, il entendit le son d'un cor, puis des aboiements de chiens qui se rapprochaient.
Il prit peur et se jeta face contre terre.
Il vit alors des centaines de chiens arriver sur lui, suivis de chasseurs montés sur des chevaux dont les naseaux lançaient des flammes, et au milieu était le seigneur de Bohan, la figure comme celle d'un cadavre, et du feu sortant de ses orbites.
Pendant une heure, cette partie de la forêt fut parcourue dans tous les sens, et le malheureux, que la terreur clouait par terre, dut attendre que la chasse se fut éloignée.
Il arriva chez lui meurtri et malade de frayeur, et il resta plusieurs semaines entre la vie et la mort.

 

Il semble qu'il y ait eu autrefois des procédés pour faire disparaître ou se mettre à l'abri des maléfices de ces chasses fantastiques.
Ronsard parle peut-être d'une conjuration usitée de son temps, où intervenait le fer, métal odieux aux esprits :
Si fussè-je estouffé d'une crainte pressée
Sans Dieu qui promptement me meit en la pensée
De tirer mon espée et de couper menu
L'air tout autour de moy avecques le fer nu;
Ce que feis soudain, et sitost ils n'ouyrent
Siffler l'espée en l'air que tous s'esvanouyrent,
Et plus ne les ouys ni bruire ni marcher.

(Hymnes)

 

Suivant un récit, jusqu'ici unique, des chasseurs d'autrefois revenaient dans les forêts, et on les voyaient prendre part aux divertissements qui marquent la fin des chasses.
Un garde forestier racontait qu'un matin, en parcourant les bois de son triage qui hérissent la montagne voisine des ruines du château d'Oliferne (Jura), il fut attiré par le bruit des cors de chasse.
Il arriva dans une clairière, et il y trouva, réunis sous un grand chêne, nombre de seigneurs, de dames et de valets :
les uns mangeaient sur la pelouse, d'autres gardaient les chevaux ou donnaient à manger à une grande meute.
Etonné, il recula et prit un sentier qui l'éloignait obliquement du groupe;
mais enchanté d'un spectacle si nouveau pour lui, il détourna la tête pour en jouir encore;
tout avait disparu.


Suite…


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