La Terre et le monde souterrain

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VII. Les grottes

a - Origine et merveilles

Les cavernes terrestres ne passent pas ordinairement pour être dues à un travail humain;
les légendes relatives à leur création, rares et peu détaillées, se bornent à l'énoncé de la croyance :

les grottes merveilleuses du Languedoc et du Vivarais ont été creusées par les Doumayselas, les demoiselles, celles de la Boullardière à Terves (Deux-Sèvres) par des farfadets qui y demeurent longtemps;
les cavernes de la Haute-Loire et les enfoncements dans les rochers sont l'œuvre des anciens hommes sauvages.

On voit dans plusieurs de ces souterrains des pétrifications qui présentent quelque ressemblance avec des personnages ou des ustensiles.
Le peuple n'a pas manqué de la compléter :
pour lui, ces jeux de la nature sont dus à des métamorphoses de fées, et leur mobilier, changé aussi en pierre, se voit auprès d'elle.

L'eau qui suinte à travers la voûte d'une grotte aux fées sur les bords du Sichon, un peu plus bas que la Source des fées, dépose une matière calcaire qui se concrète.
L'ensemble de ces concrétions affecte les formes les plus bizarres, que l'imagination anime suivant ses fantaisies.
Ainsi un bloc allongé est censé représenter une femme nue enveloppée d'un linceul :
c'est une fée qui, poursuivie par un magicien rival de sa puissance, se changea en pierre pour lui échapper.

L'une des trois cavernes superposées, d'un accès difficile, situées à Féterne dans le Chablais, et connues sous le nom de Grottes des Fées, contenaient des merveilles, qui étaient ainsi décrites au 18 siècle :

« L'eau qui distille dans la grotte supérieure à travers le rocher a dessiné dans la voûte la forme d'une poule qui couvre ses poussins.
A côté, on voit un rouet avec la quenouille.
Les femmes des environs prétendent avoir vu autrefois dans l'enfoncement une femme pétrifiée au-dessus du rouet.
Il fut un temps où l'on osait guère s'approcher de ces grottes;
mais depuis que la figure de la femme a disparu, on est devenu moins timide. »
(Voltaire, Des Singularités de la nature, 1768)

On descend par une espèce d'entonnoir dans une caverne du pays de Liège, nommée Trou del Heuve, où l'on aperçoit dans l'ombre deux formes blanches semblables à des fantômes traînant de longs voiles, appelés Marguerite et Pierrette, et plus loin deux autres stalagmites anthropomorphes.
Elles sont en un carré, et au centre une grosse pierre informe posée sur plusieurs quartiers de rochers est nommée par les habitants le Cheval Bayard.

 

Certaines cavernes renferment un monde en miniature;
dans la Grotte des Fées à Accous (Basses-Pyrénées), il y avait tout un pays avec des plaines.
D'autres s'étendaient fort loin sous terre, parfois jusqu'à plusieurs lieues, comme celle du Cas Margot près de Moncontour-de-Bretagne, comme une caverne de l'Allier, qui contenait des trésors, comme la grotte de Biâtre en Poitou.

La grotte de l'Homme mort, dans l'Ariège, où demeuraient des enchantées, c'est-à-dire des fées transformées en sorcières et appelées encandos, dounzelos, fados, sourcieiros, a plus d'une lieue et demie de longueur.
On y voit des statues, des piliers et deux oreilles de porc plantées à la voûte.
Au milieu est un ruisseau difficile à traverser. Depuis qu'on a pu le passer, on voit sur le sol la trace des pieds des enchantées.

La Grotte à la Dame qui s'ouvre à un kilomètre du Grand-Auverné (Loire-Inf.) se continuent jusque dessous l'église;
la caverne de Ro'ch Toull aboutit sous le maître-autel de Guimiliau (Finistère) et l'on y a entendu un coq chanter sous le chœur.
Cette circonstance, qui se retrouve sur la côte, y sert à démontrer que les « houles » ou cavernes du bord de la mer s'enfoncent aussi fort loin dans les terres.

 

En Béarn, l'imagination populaire prêtait de vastes dimensions à un souterrain situé au centre d'une ancienne forêt, et qui fut autrefois habitée par des fées, et l'on prétendait y avoir entendu marcher un être invisible qui garde leurs ossements.

 

Quelques grottes sont pourvues, comme les souterrains des châteaux, d'une seconde issue, parfois à une assez grande distance de leur ouverture;
la caverne du Pertuis-Fourtière à Langon, sur les bords de la Vilaine qui, pendant une quinzaine de mètres est étroite, puis s'élargit, s'étend sous terre en forme de chambre jusqu'en face de la gare de Langon.
Une fois, on y vit entrer des moutons qui ne reparurent jamais,
si l'oie est noire, elle reparaît blanche.

 

Les Bécuts dont parle les contes gascons étaient des géants hauts de sept toises qui, comme les cyclopes dont ils rappellent assez exactement les gestes, n'avaient qu'un œil au milieu du front.
Il habitaient des cavernes dans un pays sauvage et noir, et quand ils attrapaient des chrétiens, ils les faisaient cuire vivants sur le gril et les avalaient d'une bouchée.
Plusieurs récits, où se rencontrent des incidents de la légende de Polyphème, racontent que des garçons adroits parviennent, en employant la ruse, à les rendre aveugle et à leur échapper.
Le Bécut était jadis un objet d'effroi pour les enfants et les paysans, ce qui semble montrer qu'avant d'en faire un être mythologique ou lui a autrefois assigné une résidence locale.
(J.-F. Bladé)

Quelquefois ces cavernes servent de prison à des oiseaux merveilleux :
le Merle blanc y est gardé par deux dragons, l'Oiseau de Feu par un géant.

Dans un conte provençal, une ourse emmène dans sa caverne un petit enfant qu'elle a enlevé pour remplacer un de ses petits qui vient de mourir;
dans un récit basque, c'est un ours qui jette sur son dos une jeune femme et la retient dans son antre, où elle devient mère;
le même épisode se trouve dans un conte picard;
dans un récit mentonnais, une femme qui s'est réfugiée dans une grotte est obligée d'y demeurer avec un ours et elle y a un enfant qui, sous le nom de Jean de l'Ours, a comme ses homonymes des aventures prodigieuses.

 

b - Les fées

Les grottes figurent parmi les résidences des fées montagnardes, et, plus rarement, des fées sylvestres, mais elles sont la demeure par excellence des fées rustiques.
Les paysans ont cru, jusqu'à une époque assez récente, que beaucoup de cavernes, de dimensions et d'importances variées, situées dans des endroits isolés, mais peu éloignés des villages, avaient été habitées par des dames surnaturelles et puissantes, avec lesquelles leurs ancêtres entretenaient des relations dont le souvenir est attesté par un grand nombre de légendes.
D'un bout de la France à l'autre, des grottes portent des noms qui y associent les fées, les récits populaires décrivent les merveilles qu'on y voit, et ils racontent les gestes de leurs habitants avec des détails qui montrent que leur mémoire est loin d'être oubliée.

Plusieurs légendes parlent en outre de personnes qui ont pénétré dans la demeure des bonnes dames lorsqu'elles y habitaient encore et qui sont revenues dire ce qu'elles y avaient vu.

Un chasseur bossu qui s'était égaré entra un soir dans l'antre de Bourrut près de Loubières, dans l'Ardèche;
il vit la grotte toute illuminée, la mousse s'était changée en or et au milieu se dressait une table bien servie, devant laquelle il s'assit.
Quand il eut fini de manger, il vit tomber des quilles d'or, puis une boule d'or;
mais c'était le corps d'une fée qui se mit à chanter « lundi, mardi » et à danser.
D'un coup de main, elle lui enleva sa bosse et la posa sur le chambranle de la cheminée;
quand il voulut la remercier, elle avait disparu.
Il conta son aventure, et, comme dans les nombreux récits parallèles à cette partie de la légende, un autre chasseur bossu se rendit à l'antre merveilleux et fut témoin des mêmes choses;
mais, ayant eut l'imprudence d'ajouter « mercredi » au refrain de la fée, celle-ci, pour le punir, lui planta sur la poitrine une seconde bosse.

 

On entrait chez les fées de Landaville par de gros trous cachés sous des souches d'aubépine.
Leur maison était au fond;
il y avait beaucoup de chambres où c'était plus beau qu'à l'église.
On y voyait toujours plus clair qu'en plein midi, tant il y avait d'étoiles de toutes couleurs qui étaient attachées en l'air.
Et partout sur les murailles c'étaient des miroirs qui reluisaient et qu'on ne pouvait regarder.
Les fées passaient leur vie à chanter et à jouer, et, quand il faisait beau, elles sortaient la nuit par les trous de Fosse.
Elles étaient si légères qu'elles ne touchaient pas terre, et qu'on voyait clair au travers d'elles.

 

Ordinairement les grottes où demeuraient les fées avaient une entrée facile à découvrir;
mais il arrivait parfois qu'elle était très bien cachée, ou même invisible, et qu'elle ne s'ouvrait que devant ceux qui possédait un talisman.

On raconte dans le pays basque qu'une belle jeune fille vint trouver la maîtresse de la maison Gorritépé, et la pria de venir assister une femme en mal d'enfant.
Elles allèrent dans un bois, et la fille lui donna une baguette en lui disant de frapper la terre.
Dès qu'elle l'eut fait, un portail s'ouvrit;
elles entrèrent dans un château d'une rare magnificence, qui était éclairé par une lumière aussi éblouissante que le soleil.
Dans le plus bel appartement était une Lamigna prête d'accoucher, et tout autour de la chambre on voyait une foule de petites créatures ne bougeant jamais.
Lorsque la femme eut fait son office, on lui servit à manger, et de plus on lui donna un morceau de pain blanc comme neige.
Quand elle se retira, la jeune fille l'accompagna jusqu'au portail;
mais ni l'une ni l'autre ne pouvait l'ouvrir, elle lui demanda si elle emportait quelque chose.
La femme répondit qu'elle avait gardé un morceau de pain pour le montrer à sa famille.
Dès qu'elle l'eut restitué, la porte s'ouvrit, et la jeune fille lui donna une poire d'or, en lui disant de la mettre dans son bahut, et que si elle n'en parlait à personne, elle trouverait tous les matins à côté une pile de louis.

 

Les dames des grottes, comme celles des « houles » du bord de la mer, avaient recours aux bons offices des matrones quand elles étaient prêtes d'accoucher.

Une Lamigna qui habitait une caverne, près de Gotein, fut aussi accouchée par une sage-femme, et pour sa peine elle lui offrit le choix entre deux pots à feu, l'un recouvert d'or, l'autre de miel.
La femme choisit celui qui était recouvert d'or, et qui ne contenait que du miel, alors que celui qu'elle avait dédaigné était rempli d'or.

 

Ces fées vivaient assez souvent par groupes, et il y avait avec elles des mâles;
mais, comme les « féetauds » des houles maritimes, ils jouent un rôle très effacé.
Certaines n'admettent point d'hommes dans leurs demeures :
celles de Creux d'Enfer, près de Panex, eurent des enfants sans qu'on leur connût de père;
elles les nourrissaient elles-mêmes;
mais il en résultait un grave inconvénient :
leurs seins se détendaient et s'allongeait tellement que, pour ne pas être incommodées, elles étaient obligées de les poser sur leurs épaules.

 

Suivant une croyance très répandue en Europe, les fées volent les enfants qui leur plaisent et y substituent les leurs;
ceux-ci sont, d'ordinaire, noirs et laids, et ont un air vieillot;
en quelque pays, notamment en Hte-Bretagne, quand un enfant présente cette particularité, on dit encore que c'est un « enfant des fées ».
Les nourrissons que les dames des grottes dérobent à leurs voisins et ceux qu'elles mettent à leur place sont presque toujours des mâles.

Les fées de Montravel en Auvergne s'emparaient des petits garçons sans faire l'échange :
une femme à qui elles avaient pris son fils alla, sur le conseil d'une fée bienfaisante, placer à l'entrée de la caverne des petits sabots bien luisants;
un petit fadou en sortit, les admira et les mit à ses pieds, mais il s'embarrassa dedans et tomba;
On se saisit de lui, et il ne fut rendu que lorsque les fées eurent restitué le rejeton de la paysanne.

On raconte dans le Livradois qu'au rebours de ce qui a lieu habituellement, les chrétiens avaient commencé par dérober la progéniture des fées;
celle-ci par représailles, emmenèrent tous les nouveaux-nés chrétiens, et lorsque les mères vinrent les supplier de les leur ramener, elles répondaient :

Randa nou noutri Fadou
Vou randran voutri Saladou.

(Rendez-nous notre Fade, nous vous rendrons votre Salé), faisant ainsi allusion au sel du baptême.

Les chrétiennes durent consentirent à l'échange.

Mais le plus habituellement les fées prennent les enfants des hommes et laissent les leurs à la place;
ceux que les Margot-la-Fée des C.-d'A. déposaient dans les berceaux étaient insatiables et mangeaient plus que de grandes personnes.

Les gens du voisinage connaissait un moyen infaillible pour s'assurer qu'ils avaient affaire à un petit féetaud;
quand ils avaient placé devant le feu des coques d'œufs remplies d'eau, l'enfant étonné s'écriait :

J'ai bientôt cent ans,
Je n'ai jamais vu tant de petits pots bouillants.

Il suffisait de faire mine de le battre pour que les Margot rapportent aussitôt celui qu'elles avaient dérobé.
Il existe plusieurs variantes de cette légende :
l'une de celles qui rappellent le mieux le récit de la Hte-Bretagne est populaire de l'autre côté des Alpes, dans la vallée d'Aoste, pays français de race et de langue.

Une fée éclatante de beauté habitait une caverne dans le vallon de Réchanté en compagnie de son fils qui était malingre, bossu et muet par-dessus le marché;
elle vola dans une maison du village un enfant choisi parmi les plus jolis, et laissa le sien au pied d'un arbre;
deux jeunes filles, touchées de compassion, l'emportèrent chez elles;
mais, malgré leurs soins, il ne grandissait pas.
Une vieille femme, l'ayant vu, conseilla aux gens de la maison de se procurer autant de coques d'œufs qu'on pourrait en trouver, et de les ranger sur la pierre de l'âtre autour d'un grand feu.
On suivit son conseil, et on assit le nain sur une escabelle devant la cheminée;
celui-ci qui jusque-là n'avait jamais parlé, surpris à la vue de tant de coques d'œufs, s'écria tout à coup :

« Té vu tre cou prà, tre cou tchan, tre cou arbrou gran, e jamé vu tan dé ballerot otor dou fouec. »
(J'ai vu trois fois pré, trois fois champ, et trois fois de grands arbres, et jamais je n'ai vu tant d'amusettes autour du feu ! )

La vieille dit alors aux parents de celui qui avait été dérobé de porter le nain aux environs de la caverne, et de le fouetter sans pitié.
La fée accourut aux cris de son enfant pour le défendre, et pendant ce temps les parents pénétrèrent dans la grotte et enlevèrent leur fils.

En dehors de la péninsule armoricaine et de la Vallaise, l'épreuve des coques d'œufs ou les coquillages qui font parler le nain n'a été relevée qu'en Normandie, à Guernesey et dans la Bresse.
En Vendée, où vraisemblablement elle a été connue sous la même forme, elle a subie une altération, et elle n'est plus employée pour savoir si l'on a affaire à un intrus, mais pour forcer les fées à opérer la restitution.
La mère qui, avant de se coucher, avait placé treize œufs sous la cendre, retrouvait le lendemain son enfant auprès d'elle.

La croyance aux enfants changés subsiste en d'autres pays où les vieilles femmes, à la seule vue des « fayons », savent les reconnaître.
Une femme de Panex, qui sarclait dans les champs, y avait apporté le berceau de son enfant;
son travail fini, elle vit à la place de son nourrisson un petit être tout noir qu'une main invisible venait d'y déposer.
Elle retourna à son village et consulta une des femmes les plus âgées, qui lui dit que sans doute une des fées de la grotte avait fait échange avec elle.
Elle lui conseilla de retourner le lendemain à son champ à la même heure, sans avoir donner le sein à l'enfant.
Celui-ci se mit à pleurer, et la fée, accourant aux cris de son fayon, rapporta le nourrisson et emporta le sien dans la grotte.

 

Les légendes racontent aussi, sans entrer dans les détails, que les fées emmenaient, de gré ou de force, des adultes dans leurs demeures souterraines.
Les fées noires de la région pyrénéenne emportaient les jeunes vachers qui abandonnaient la surveillance de leurs troupeaux pour chercher des nids de perdrix blanches.
Les Margot-la-Fée gardaient aussi des hommes dans leurs cavernes, mais sans les y contraindre;
ils s'y plaisaient tellement que le temps leur semblait moitié moins long qu'il n'était réellement.

 

Quelquefois les bonnes dames avaient avec les hommes des relations qui allaient jusqu'au mariage;
mais, ainsi que la plupart des fées qui épousent des mortels, elles stipulaient que l'union serait rompue si leur mari n'observait pas scrupuleusement les conditions imposées, si bizarres qu'elles lui parussent.

Une dame de la grotte aux Fées de Vallorbe consentit à prendre un forgeron pour époux, en lui faisant promettre qu'il ne la verrait que lorsqu'elle le jugerait à propos de se montrer, et qu'il ne la suivrait jamais dans aucune partie de la caverne que celle où il se trouvait au moment de cet entretien.
Tout alla bien pendant quinze jours;
le seizième, comme la fée était entrée dans un cabinet voisin pour y faire sa méridienne, son mari entrouvrit la porte;
sa femme sommeillait sur un lit de repos, et sa robe relevée laissait voir ses pieds qui étaient faits comme ceux d'une oie,
la fée, avertit par le jappement de sa petite chienne, le chassa de la grotte et le menaça des plus durs châtiments s'il révélait jamais ce qu'il avait vu.
Le forgeron ne put s'empêcher de le raconter à ses camarades, et comme preuve, il leur montra les deux bourses que la fée lui avait données;
mais dans celle qui contenait de l'or, il ne trouva que des feuilles de saule, et dans celle où l'on avait mis des perles, que des baies de genévriers.
En même temps les fées disparurent :
on assure qu'elles s'étaient retirées dans les grottes profondes de Montchérand, près de la ville d'Orta, mais nul n'osa jamais y pénétrer pour en avoir la certitude.

Dans les légendes corses, c'est aussi la curiosité du mari qui amène la rupture du mariage contracté dans des circonstances analogues :

Une belle fée avait sa grotte près de la rivière de Rizzanèze;
bien des fois on l'avait vue en sortir le matin pour laver son linge, et le bruit courait que celui qui parviendrait à la saisir par les cheveux deviendrait son époux.
Un garçon trouva moyen de la surprendre, et après lui avoir promis tous ses trésors s'il voulait renoncer à elle, elle se résigna à l'épouser, en lui disant que s'il cherchait à voir son épaule nue, elle disparaîtrait à l'instant.
Le mariage eut lieu, et la fée devint mère de trois garçons et de trois filles.
Un matin qu'elle était endormie, son mari lui découvrit l'épaule;
un sanglot déchirant se fit entendre;
la fée, après lui avoir montré un trou dans sa chair par où on voyait ses os, s'enfuit avec ses filles, et son mari désolé ne la revit jamais.
Une légende de fée lacustre du même pays a le même dénouement.

Les hommes qui épousaient les Margot-la-Fée de la Haute-Bretagne n'étaient pas soumis à ces conditions, mais ils restaient dans la grotte à vivre de la vie des fées.

 

Les légendes qui décrivent la beauté des grottes rapportent aussi, parfois avec détail, les occupations de leurs habitants, dans leur demeure elle-même ou aux environs.
Comme leurs congénères des houles des falaises, ces fées se livraient à des travaux féminins, analogues, avec une pointe de merveilleux, à ceux des ménagères des environs.
Ainsi qu'on l'a vu, elles boulangeaient et cuisaient leur pain;
mais elles étaient aussi d'habiles fileuses, et elles allaient laver, à la rivière ou dans l'étang voisin, du linge d'une blancheur proverbiale.

 

En Saintonge, les paysans appelaient Fades ou Bonnes les fées que l'on voyait sur les bords de la Charente, près des grottes de la Roche-Courbon, de Saint-Savinien et des Arciveaux.
Elles erraient la nuit, au clair de lune, sous la forme de vieilles femmes, et ordinairement au nombre de trois.
Elles avaient la faculté de prédire l'avenir et le pouvoir de jeter des sorts.
On les désignaient sous le nom de filandières, parce qu'on supposait qu'elles portaient constamment un fuseau et une quenouille.

Les fées d'Aï, qui habitaient le Pertuis, étaient bonnes ménagères :
elles balayaient leurs grottes, s'occupaient aux ouvrages de leur sexe.

On raconte à Leyzen que l'on a vu dans un amas de balayures, au-dessous de la grotte de Pertuis, de petits dés à coudre, de mignonnes paires de ciseaux, et des petites rognures d'étoffes.
Les hades et les blanquettes qui résident dans les grottes des montagnes des Pyrénées font voir sur le seuil, par les beaux jours, leurs resplendissantes chevelures d'or, mais ceux qui veulent les atteindre roulent dans les précipices.

 

Les fées des grottes, comme celles des fontaines et des lacs, faisaient elles-mêmes leur lessive;
mais lors même qu'elles s'y employaient après le coucher du soleil, leur occupation n'avait rien de commun avec la lugubre tâche des lavandières condamnées à des pénitences posthumes. (Voir eaux douces 5, lessives merveilleuses)

En Forez, par les nuits calmes, on entendait très distinctement les dames de la Grotte des Fayettes battre leur linge, fin comme la gaze, quasiment tramé de nuages et bordé de rayons de lune.
Au lever du jour, si quelque indiscret les surprenait attardés à leur ouvrage, elles se dispersaient comme feuilles au vent, et parfois l'une d'elles, dans sa précipitation, oubliait sur la bruyère son battoir d'or massif.

Les fayules du Dauphiné choisissaient les jours de brouillard pour faire leur lessive, et elles étendaient alors sur les rochers leur linge impalpable.
Très pacifiques en temps ordinaire, elles devenaient furieuses si un imprudent venait les déranger;
tout disparaissait en un clin d'œil et un sort était jeté sur le curieux qui, dans l'année, voyait le malheur s'abattre sur sa maison.

Les Margot-la-Fée de Haute-Bretagne lavaient aussi à certains doués, même en plein jour, ou tout au moins au crépuscule;
parfois, comme les lavandières de nuit, elles broyaient les bras de ceux qui leur aidaient à tordre.

 

Les légendes des fées danseuses, dont l'habitation est expressément localisée dans les cavernes, sont surtout connues dans l'est de la France.

On voit danser au clair de lune, près de la grotte de la Chapelle des Fées à Censeray, des dames blanches qui vont ensuite se désaltérer à la rivière;
celles de la caverne de Talent faisaient, à minuit, des rondes autour de la Roche fendue.

Les fées du Dauphiné, qui habitaient les fissures des rochers qu'on appelle Pierres des Fayules, restent invisibles pendant le jour;
mais au crépuscule, elles forment des rondes silencieuses près de leurs grottes.

Celles de la spacieuse caverne à deux étages de Vallorbe étaient bonnes musiciennes, et l'on se souvient de les avoir entendues chanter au bord des eaux et des précipices.

Les bonnes dames qui se montraient parfois en plein jour pouvaient rentrer chez elles par la porte de leur grotte, si celle-ci était visible, ou même sans laisser de trace à l'endroit où elles avaient disparu.

C'était peut-être à cette faculté que faisait allusion un paysan dont parle Noël du Fail.
« Le bonhomme Robin Leclerc disoit que en charriant les fées le venoient voir, affermant qu'elles sont bonnes commerce et voluntiers leur eust dit le petit mot de gueule, s'il eust osé, ne se deffiant point qu'elles ne lui eussent joué un bon tour.
Aussi que un jour les espia lorsqu'elles se retiroient en leurs caverneux rocs, et que soudain qu'elles s'approchoient d'une petite motte, elles s'évanouissoient.
»

 

Lorsque les fées s'éloignaient de leur résidence habituelle, elles prenaient parfois l'apparence de paysannes;
en Corse, où l'on semble croire que les fées n'ont pas toutes quitté le pays, elles sortent de temps en temps de leurs grottes, déguisées, et se promènent dans les campagnes.
Elles empruntent les traits de personnes connues et se plaisent à causer avec les paysans.

En d'autre pays, les fées ne se déguisaient pas lorsqu'elles venaient chez les hommes.
Les dames de la Baume des Fées à Vallorbe, canton de Vaud, ne dédaignaient pas en hiver de se chauffer derrière les fourneaux des forges de Laderrain;
un coq qui les suivait partout les avertissait, une heure à l'avance, du retour des ouvriers.

Tante Arie, qui habitait une caverne du Jura bernois, allait à la veillée d'une maison du voisinage pour activer le travail des fileuses.
Des jeunes gens indiscrets, voulant s'assurer du chemin qu'elle parcourait, répandirent des cendres sur la voie, et le matin, ils reconnurent aux empreintes que la fée avait des pieds d'oie.

Les Fanettes du Limousin quittaient leurs grottes durant les longues soirées pour venir dans les fermes du voisinage;
mais elles se plaisaient à faire mille espiègleries aux ménagères.

 

Les récits populaires sont en général bienveillants pour les dames des cavernes, et beaucoup parlent des services qu'elles se plaisaient à rendre aux hommes.
Les habitantes de la Grotte des Fées du Puy de Préchonnet comblaient de bienfaits les gens de la contrée;
elles présidaient aux naissances, aux alliances conjugales, et jamais on ne recourait en vain à leur baguette magique.

Tante Arie, qui est aussi connue en Franche-Comté, faisait son séjour dans une caverne de la Roche de Faira, d'un accès difficile.
Elle protégeait les femmes laborieuses, mais elle emmêlait la quenouille des filles qui s'étaient oubliées.

Parfois, les bonnes dames témoignaient plus d'indulgence pour les personnes de leur sexe.
Une jeune fille qui, prise des douleurs de l'enfantement, allait se réfugier chez une de ses amies, passait un soir en pleurant près des grottes de Rinbanys (Roussillon);
les fées eurent pitié d'elle et la recueillirent dans leur caverne où elles aidèrent à sa délivrance.
La même compassion est attribuée en Hte-Bretagne à des fées qui cachent dans leur « houle » une pêcheuse enceinte qui voulait se noyer.

Au commencement du 19éme siècle, les fées de l'Ain étaient des vieilles filles sages et vertueuses qui demeuraient dans des grottes et apprenaient aux jeunes filles à coudre et à filer;
voulant récompenser leurs écolières les plus diligentes, elles leur donnèrent de petits papiers pliés pour acheter quelques parures;
elles y mirent comme condition que celles-ci ne les ouvriraient pas avant d'être rendues chez leurs parents.
Les jeunes filles résistèrent d'abord à la tentation, mais la curiosité finit par l'emporter.
Quand elles furent arrivées à un endroit que l'on désigne, les paquets furent ouverts, et l'on n'y trouva que des feuilles de buis.


Suite…


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