La Terre et le monde souterrain

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V. Les empreintes merveilleuses (suite)

b - Empreintes animales

La plupart des empreintes animales auxquelles se rattachent une légende ou un nom suggestif sont celles d'équidés, chevaux, mules ou ânes, qui portent des divinités, des héros ou des bienheureux.
Les bassins à forme un peu allongée, ou dont une partie est plus profonde que l'autre, ont suggéré l'idée de la pression d'un fer à cheval ou d'un glissement;
des enfoncements aux contours irréguliers ont fait songer à des pattes de chiens ou de chats.

Les traces des montures de fées ou de géants sont extrêmement rares :
Mélusine, surprise par le jour quand elle finissait l'église de Parthenay, s'enfuit au galop, et son cheval grava ses fers sur la dernière pierre qu'elle voulait fendre;

on montre à Bray (Seine-inf.), le pas du cheval de Gargantua.

 

Les chevaux ou les ânes des saints ont au contraire laissé de fort nombreuses empreintes.

Saint Martin est de tous les bienheureux celui qui fit le plus souvent usage de montures;
les anciennes traditions parlent ses chevauchées et surtout celles qu'il accomplit sur son âne, et ce quadrupède a été en relation si fréquente avec lui que, maintenant encore, beaucoup de ses congénères se nomment Martin.
On rencontre la mention de ces pas de l'âne dès le VIe siècle :
Grégoire de Tours raconte qu'à l'orifice de la source, que l'apôtre des Gaules avait fait jaillir pour récompenser la charité d'une pauvre femme, on voyait une pierre avec l'empreinte du pas de l'âne qui portait le saint évêque.

Une autre dépression en rapport avec l'apôtre des Gaules, que l'on fait voir de nos jours près de Ligugé, avait une origine qui est ainsi rapportée par un écrivain du 17e siècle :
« Un jour que saint Hilaire allait voir saint Martin à sa cellule de Ligugé, la mule de l'évêque s'inclina devant saint Martin, et, au relevé la forme du pié de ladite mule demeura engravée dans une pierre comme on voit encore du présent, et ledit lieu a toujours esté appelé depuis le Pas de la Mule ».
J. Bouchet, Annales d'Aquitaine, 1646

A Vertolaye (Puy-de-Dôme), existait jadis une pierre branlante, creusée profondément à sa surface par le cheval de l'apôtre alors qu'il gravissait au galop les vallées et les torrents.

Dans la Beauce, un trou, dit le Pas de Saint-Martin, qui représente à peu près la forme d'un énorme pied de cheval, a été produit par la monture qui portait le saint quand il voyageait dans le pays.

A Lavault-de-Frétoy, une cavité est attribuée au cheval de saint Martin;
son cheval glissa sur un rocher raboteux où il laissa sa trace ainsi que celle de l'autre pied, et le saint, pour ne pas tomber, s'appuya sur le fer de sa lance.
La trace de la glissade est très luisante et très lisse, elle a servi à polir des haches;
on en a trouvé trois auprès.

Lorsqu'il allait visiter l'église de Sainte-Colombe, il passa par un bois, près d'un rocher sur lequel avait lieu une ronde du sabbat;
sa monture effrayée s'abattit, laissant l'empreinte de ses genoux sur le roc.

A Druyes, où l'on voyait plusieurs pas de saint Martin, l'un d'eux était la trace du coup de sabot que son cheval frappa pour faire jaillir une source.

A Assevilliers (Somme), deux grandes cuvettes, trois rayures profondes et un bassin naturel sur un polissoir dit Pierre de saint Martin sont l'empreinte du derrière du cheval du saint qui se cabra lorsque son cavalier soutenait une lutte terrible contre le diable.
On dit aussi qu'il faisait boire son cheval dans l'excavation naturelle creusée au milieu de la pierre.

 

Les montures des autres personnages sacrés laissent, à elles toutes, moins de traces que celles du seul saint Martin.

On montre à Changy, sur la roche d'où sort l'eau d'une fontaine les quatre pieds de l'âne, qui portait la Vierge et l'Enfant Jésus qui vinrent s'y désaltérer lors de leur fuite en Egypte.

Saint Jouin avait l'habitude de dormir sous un ormeau près du village de Mavaux (Aquitaine), et le diable profitait de son sommeil pour lui voler son argent.
Un jour que saint Hilaire venait pour le prévenir des entreprises du démon, la mule de l'évêque recula effrayée à la vue du prince des ténèbres et laissa la forme de son pied, où elle est engravée encore et il y a une croix en mémoire de ce miracle.
D'après une version plus récente, un jour que ce même saint Jouin était tourmenté par le diable, sa jument frappa de son pied, qui y est resté marqué, un rocher voisin du dolmen de Mavaux.

On fait voir, près du village de l'Abbaye en Savoie, l'empreinte du faux pas que fit la mule de saint Guérin et qui entraîna la mort de ce bienheureux.

En Berry, sur le rocher du Pas de la Mule, est l'empreinte laissée par la monture du cardinal Eudes de Châteauroux qui s'y arrêta lorsqu'il revenait de la Terre sainte avec le précieux sang;
auprès est celle de sa crosse.

A la Sainte-Baume, des pieds de chevaux au bord du précipice témoignent du miracle qui sauva la vie à deux marchands qui y arrivaient de nuit, et y auraient trouvé la mort si la sainte n'avait retenu leur monture.

 

On rencontre en plusieurs endroits des témoignages des pérégrinations équestre du diable.

A Artos, en Dauphiné, une pierre porte le nom de Pas de la Mule du diable.

Une autre empreinte du fer de cette mule se voyait sur le piédestal de la Croix Mathon, non loin du château de Marsais.
Un des seigneurs qui l'habitaient, ayant accepté de se battre avec le diable, l'attaqua avec une épée sortie d'un fourreau rempli d'eau bénite;
Satan, vaincu, se retira et laissa comme aveu de sa défaite sa mule, qui ne devait ni boire ni manger.
Un valet lui ayant donné de l'avoine, elle reversa le château d'une ruade.
Le diable apparut alors et enfourcha sa mule qui, en passant, voulut culbuter la Croix Mathon, mais ne réussit qu'à y laisser la trace de son fer.
Cette défense de donner à manger à un cheval se retrouve dans plusieurs contes populaires où le héros est le diable.

Dans la grève hantée de Trestel (C.-d'A.), on montre les pieds du cheval du diable.

Ceux du cheval de feu, qui déposa Satan près du col de Nono, quand il se rendait près de saint Martin, sont marqués en rouge ineffaçable sur un rocher près de Letia.

A Peyrat-la-Normière, deux dépressions au-dessus du gué du Pas de l'âne sont celles de l'âne qui portait le diable quand il traversa cette vallée.

 

Plusieurs coursiers de héros de roman ou d'épopée ont laissé des empreintes que montrent les gens du voisinage;
celles du cheval de Roland, que l'on rencontre surtout dans la région pyrénéenne, sont les plus nombreuses.

Près de Céret, les habitants appellent las ferraduras del cavall de Rotlan des dépressions gigantesques sur les flancs de la montagne.

A Gavarnie, le cheval du paladin marqua ses pieds sur le roc, pendant que son maître taillait la brèche qui porte son nom.

Le cheval d'Arthur, ayant été attaché pendant dix-sept ans, laissa dix-sept traces de son sabot sur un rocher du bois appelé Koat toul lairon Arthur.

Plusieurs empreintes du cheval de Bayard ont été relevées dans la région du Midi :
les pâtres des Pyrénées en montrent une sur la montagne de la Llauso;
il y en a d'autres dans la Gironde, et une cavité circulaire sur la surface plate d'un gros rocher près d'une fontaine du canton de Semur, s'appelait le Pied du cheval Bayart.

En 1794, on fit voir à Cambry sur le rivage, près de Ris, le pied du cheval de Gralon (Roi d'Is), et on le montre encore aujourd'hui.

Quelques empreintes ne se rattachent plus aux pérégrinations des héros ou des saints, mais à des épisodes légendaires variés;
l'une d'elles remontre au déluge.
La grande plaine qui s'étend entre Reignier, l'Arve, la chaîne des Bornes et les montagnes de Saint-Sixt, est parsemée d'une multitude de blocs erratiques, dont chacun a un nom :
la Pierre aux Morts, la Pierre aux Fées, la Roche au Diable, le Pas de Cheval, etc;
voici la légende qu'on raconte au sujet de cette dernière.
Lors du déluge, un cheval qui n'avait pas fait partie du couple privilégié admis dans l'Arche, voyant l'eau s'élever autour de lui, grimpa sur la pierre d'Arbusigny, et là, il se crut à l'abri de toute atteinte.
Des hommes s'approchèrent pour monter sur son dos, mais il les frappait avec ses pieds de derrière ou se cabrait.
Les profondes dépressions qu'on voit encore sur le roc sont dues aux bonds qu'il fit alors.

Un jour qu'une comtesse de Foix visitait ses domaines, sa mule s'arrêta en passant par un bois, sans pouvoir avancer ni reculer, et elle enfonça un de ses pieds dans une pierre où elle imprima la figure de son fer;
la dame, surprise de ce prodige, fit soulever, le rocher sous lequel on trouva une image miraculeuse de la Vierge.

 

Des légendes très répandues racontent que des héroïnes, saintes, grandes dames ou simples bergères, sur le point d'être atteintes par leurs persécuteurs, se précipitent du haut d'un rocher escarpé et arrivent saines et sauves en bas en laissant, au lieu d'où elles s'élancèrent ou à celui où elles tombèrent, la marque de leurs pieds ou de leurs genoux.
Plus nombreuses sont les traces faites par les montures de personnages sacrés ou légendaires qui, en pareille occurrence, accomplissent aussi des sauts prodigieux.

On trouve plusieurs de ces empreintes, avec des traditions explicatives, aux environs de Nuits et de Beaune;
un mendiant, qui n'était autre que le diable, s'offrit un jour de guider saint Martin à travers la forêt;
mais tout à coup il accéléra sa marche et lança cheval et cavalier sur un rocher, avec l'intention de les précipiter dans le vide;
l'animal, effrayé à la vue de l'abîme, prit un élan prodigieux sous le fouet de son maître, et franchit d'un bond la vallée jusqu'au MontForan où il s'abattit.
Le lieu de sa chute est marqué sur le rocher et des rainures sont la trace des coups de fouet que le saint lui administra pour le relever.

Une petite excavation auprès de Beuvray, à la surface du rocher du Pas de l'âne, est l'empreinte de la monture qui portait le bienheureux lorsque, pressé par les païens, il lui fit franchir d'un bond la vallée de Malvaux.
Cetâne accomplit bien d'autres sauts périlleux que constatent des creux appelés Pas de l'âne de saint Martin, dans le Morvan;
on en voit, accompagnés de la légende du bond miraculeux, au val de Men-Vaux, à la Roche Chaise, à la forêt de Gravelle, au Beuvray, etc.
On en montre aussi dans les régions voisines :
en Velay, le saint, poursuivi par le diable, fit franchir à son cheval un immense espace;
à l'endroit où il arriva sont deux marques profondes sur un rocher, celle d'un pied de cheval et celle d'un chien.

Lorsque saint Gildas eut ordonné à son cheval de le transporter à l'île de Houat, la bête fit un si grand effort que ses pieds se gravèrent sur le roc.

Le coursier de saint Julien a aussi laissé sa trace sur un rocher d'où il prit son élan pour franchir la vallée de l'Arroux.

A Millay et à Chiddes sont deux pas de la monture de saint Maurice qui, poursuivi par des malfaiteurs, fit faire à son cheval une enjambée de 1600 mètres, qui le porta sur le Mont-Theurot où l'on voit deux autres empreintes.

 

Dans la Gironde, le cheval des quatre fils Aymon a fait plusieurs sauts merveilleux.
Il part du plateau de Touilh, où il laisse une empreinte, tombe à Saint-Romain-la-Virvée, d'où il saute sur le château de Montauban, en Cubzac, pour franchir l'espace une troisième fois et tomber à Rochemombron, près de Tauriac.
En Belgique, ses traces se retrouvent aux environs de Charleroi, de Liège et de Dinant où des trous en forme d'un sabot de cheval sont dus au fameux coursier.
Charlemagne poursuivait les quatre fils Aymon, montés sur le cheval Bayart;
celui-ci, arrivé sur un rocher qui surmontait la vallée, la franchit d'un bond et marqua ses pieds au lieu où il vint retomber.
A Dinant, on dit que d'un coup de son puissant sabot il perça la roche qui a pris son nom.

A Bains, on remarque sur les rochers, près du passage de Boro, les sabots du coursier d'un seigneur de Bains, Rouardaye Joue Rouge, sorte de géant qui, partant pour la croisade, franchit cet espace d'un seul élan de son cheval.

D'après une légende déjà ancienne, puisque l'abbé Régnier-Desmarais en parle dans ses poésies, un prince de Lorraine poursuivi par ses ennemis arriva au bord du rocher qui surplombait la route;
le prince, préférant le hasard de la chute à la captivité, fit cabrer son coursier qui, dans l'effort, enfonça ses fers dans le grès rose.
Cheval et cavalier arrivèrent en bas sans mal apparent, mais arrivé à l'hôtel de ville de Saverne le malheureux quadrupède expira.

La Roche du Mulet, à Bleurville (Vosges), est ainsi appelée parce qu'un mulet fantastique y a laissé la trace de ses sabots en la franchissant d'un bond.

La roche de Jarissein à Saint-Martin s'appelle Saut de la Pucelle, parce qu'on y voit l'empreinte des quatre fers de la mule qui portait une jeune fille, et qui, d'un seul bond, s'élança du village de Chaumis sur ce rocher.

 

c - Le mobilier et les ustensiles

Les assimilations des empreintes à des choses usuelles sont très nombreuses, et l'on conçoit que leur forme souvent ronde ou ovale, qui leur a fait donner le nom d'écuelles ou de bassins, ait été très suggestives d'explications légendaires.

A force de passer et de repasser sur les rochers qui effleuraient assez fréquemment sur les routes rudimentaires de certains pays, les charrettes ont fini par y creuser des ornières parfois aussi nettes que des rails en creux.
Celles qui se trouvent dans des endroits sauvages, ou qui actuellement ne servent que très rarement de chemins, sont l'objet d'explications traditionnelles.

A Locronan, les roues de la charrette qui transportait le corps de saint Ronan sont marquées sur des rochers.

Le char du diable avait creusé des ornières sur les rochers de l'île d'Arz, où des vieillards prétendaient l'avoir vu rouler au milieu d'une épouvantable lumière.

Une rainure sur un rocher dans le bois de Montgommery en la lande de Goult (Manche) commémore le passage du chariot de Gargantua, alors qu'il revenait de Tombelaine (photo) après avoir jeté dans la mer cet îlot et le Grand Mont.

Près de Saales, en Alsace-Lorraine, on fait voir l'empreinte de l'arche de Noé sur des blocs granitiques.

 

Les creux à la surface des rochers, qui affectent assez souvent une certaine régularité, ont aisément éveillé l'idée de meubles ou d'ustensiles en rapport avec leur forme.
Les empreintes du gros mobilier des fées sont assez rares, sans doute parce que le peuple place leur résidence sous la terre ou dans des grottes plutôt qu'en plein air.

Cependant, on trouve un Lit des Fées à Aisy-sous-Thil, dans la Côte-d'Or, et des berceaux de leurs enfants sur les blocs épars sur les collines de la partie montagneuse des C.-d'A., qui, d'après des traditions très répandues, étaient fréquentées par les Margot-la-Fée.

Les lits de saints, plus nombreux, sont pour la plupart en Bretagne.
A Lampaul-Guimiliau, un creux qui présente à peu près la forme d'un corps humain, au sommet d'un rocher, servait de lit à saint Pol;
non loin de Saint-Renan, on fit voir à Fréminville, sur une roche plate, une excavation de grandeur d'homme, avec l'emplacement de la tête bien marqué, qui avait été la couche du patron de la ville;
à Pluzunet, un rocher plat, légèrement creusé, fut le lit commun de saint Idunet et de sa sœur sainte Dunnvel.

 

Les rochers sur lesquels une dépression centrale, accompagnée d'une sorte de dossier et de bourrelets latéraux, éveille aisément l'idée d'un siège, se voient en beaucoup d'endroits.
Il est rare que que les fées y soient associées:
toutefois dans la partie montagneuse des C.-d'A., on fait voir des sièges des Margot-la-Fée, un fauteuil des Fées près de Quarré-les-Tombes, et l'on dit qu'elles viennent s'asseoir, pour y filer leur quenouille;
c'est pour cela que l'on trouve auprès des mognons de laine.

Une chaise de Gargantua près de Saint-Pierre-de-Varengeville est intéressante, parce qu'au XIIe siècle, une charte, l'attribuant à un géant anonyme, la désignait sous le nom de Curia gigantis;
entre Beaume-les-Dames et le village d'Hyèvre, on remarque aussi un fauteuil de Gargantua;
à Plédran, près d'une roche aux fées, était la chaise du géant Michel Morin;
à Plestin, une pierre isolée, qui présente à sa partie supérieure une cavité en forme de siège, est connue sous le nom de Cador Rannou, chaise de Rannou, qui fut aussi un géant.

On voit aussi dans la Brie le creux que fit saint Fiacre sur un rocher où il s'assit, désolé de l'accusation de magie portée contre lui.

A Saint-Idunet, un rocher s'appelle la Chaise de saint Yves.
Ce bienheureux, étant allé mendier à Belle-Ile, entra dans une maison où l'on cuisait du pain;
les femmes lui donnèrent un peu de pâte pour faire un gâteau;
mais comme il arriva que le sien était plus gros que les leurs, elles crurent qu'il avait volé de la pâte, et elles se mirent à sa poursuite.
Le saint, fatigué, s'assit sur une pierre qui plia sous lui et prit la forme d'un siège.

Près de l'endroit où Michel Le Nobletz se retira pendant un an avant d'entreprendre ses prédications, se dresse au bord de la mer, à Saint-Michel-de-Plouguerneau, un rocher immense aux flancs escarpés où il allait méditer :
l'on peut encore maintenant s'asseoir dans le fauteuil de pierre de Michel Le Nobletz.

 

Dans le nord de l'Ille-et-Vilaine, nombre de pierres à bassins portent le nom de « Chaises du Diable ».
A Louvigné-du-Désert, où l'on en voit plusieurs, il venait naguère encore, sous l'apparence d'un bouc, s'asseoir sur l'une des plus remarquables.

A Hambers, on donnait le nom de Chaise au Diable à une pierre qui portait une excavation circulaire et avait fait partie d'un dolmen.

A Aron, la Chaise du Diable s'était formée sous le poids du démon qui vint s'y reposer un jour qu'ayant construit un pont pour les gens du pays, on lui donna pour sa récompense un chat au lieu d'un homme.

A Sardant, dans la Creuse, un amas de roches à écuelles s'appelait la Chaise du Diable.

Une autre Chaise du Diable, au Mont-Foran (Côte-d'Or), inspirait une terreur superstitieuse aux bergers.

 

Les dépressions sensiblement circulaires ont tout naturellement provoqué l'assimilation aux nombreux ustensiles de ménages qui affectent cette forme;
elles ont reçu des noms en rapport avec cette idée, et des traditions expliquent leur origine.

Une colline au-dessus du village de Beaumont, à Saint-Yriex-des-Bois, est couronnée par un entassement de roches naturelles nommé Châté de las Fadas.
Trois de ces rochers portent chacun trois petits bassins unis par une rigole :
un dixième plus grand, qu'on appelle bujou ou cuvier, se voit sur une pierre plate au bas de l'escarpement.
Quand les vapeurs de la fontaine s'élèvent au-dessus des arbres, les habitants disent que les fées font leur lessive.

A Quarré-les-Tombes, on montrait la chaudière et la cuve des fées sur un amas de roches granitiques.

A Aisy-sous-Thil, à peu de distance du ruisseau, dans un vallon sauvage qui porte le nom de Galaffre, l'excavation régulière d'un rocher qui a la forme d'une véritable chaudière est appelée la Chaudière des Fées ou le Cuvier de la Fée.
C'était celui d'une fée très méchante dont on fait voir la maison, les écuries, la grange, espèces de grottes peu élevées formées par des blocs de granit que le hasard a superposés.
Elle est morte, dit-on, depuis peu de temps;
son mobilier a été changé en roches;
on montre son sabot, son lit, son seau, etc.

A Pont-d'Aisy, une pierre à écuelle est appelée la Chaudière de la Fée, ou Chaudière du géant Galaffre;
celui-ci s'en servait en même temps que la fée Befnie.

On voit l'empreinte du poêlon d'une fée sur le dolmen de Miré, et plusieurs bassins à la surface d'un rocher dans le bois de Lavaud-du-Frétoy sont les plats du festin des fées.

Les cavités de la Roche aux Fées à la Bourboule sont attribuées à des fées bienveillantes qui protégeaient le pays contre les incursions d'Aimerigot.
Celui-ci, qui habitait le château de la Roche Vindeix, avait plusieurs fois essayé de les déloger, mais elles avaient toujours déjoué ses entreprises.
Un jour que, retirées sur leur rocher, elles chantaient en buvant de la bière et en mangeant une omelette, il parvint à les surprendre;
il s'empara du local qui était divisé en deux parties :
l'une, antérieure, formait salon, et l'on y voit encore une espèce de banc taillé dans la pierre.
Les fées qui étaient dans leur cuisine n'eurent que le temps de s'échapper;
mais elles voulurent, en quittant le pays, y laisser un souvenir de leur séjour;
le poêle et les verres dont elles se servaient ont marqué, par leur volonté, des empreintes sur le roc et sont dispersés à sa surface.

Le Perron de la Louise ou de la fée, dans la Côte-d'Or, est un énorme bloc qui porte deux trous ronds à sa partie supérieure :
une méchante sorcière faisait sa cuisine dans une espèce de chaudron.
La nuit, montée sur la pierre, et sous l'aspect d'une dame blanche, elle cherchait par ses cris à égarer et à effrayer les voyageurs.

A la cascade de Portefeuille où les Martes berrichonnes venaient préparer leur repas, on distingue au fond du ruisseau, arrondis et creusés dans le roc, leur chaudron, leur poêle et leurs ustensiles en pierre.

La batterie de cuisine du diable est presque aussi bien fournie que celle des bienheureux.
Dans l'île d'Herreu (Loire-inf.), où nombres de rochers sont couverts de bassins et de cercles, l'un d'eux est la cuisine du diable, et les habitants y voient ses marmites et ses poêlons.

A Piriac, on nomme Cartes du diable de larges pierres qui portent, gravées en creux sur deux rangs, des croix de formes variées.

On montre à Bruz, sur un rocher à bassin, les écuelles du sorcier.

 

Plusieurs empreintes qui, par leur régularité, éveillent facilement la comparaison avec des objets connus commémorent, en Basse-Bretagne, le souvenir d'enfants dont des personnages malheureux ou criminels avaient eu le dessein de se débarrasser.

Un pauvre homme, déjà chargé de famille, étant devenu père de trois jumeaux et ne sachant comment gagner du pain pour tant d'enfants, les mit dans un panier, et se dirigea vers la chapelle des Fontaines pour les noyer dans les sources qui sont auprès.
Quand il y fut arrivé, il déposa le panier sur une pierre afin de chercher l'endroit le plus favorable pour les faire disparaître.
Mais soudain apparut une belle dame qui lui dit de s'en retourner avec ses enfants, en lui assurant que jamais il ne manquerait de pain pour les nourrir;
la marque du panier est restée gravée sur la pierre.

On raconte à Erdeven (Morbihan) qu'une pauvre femme, ayant eu sept enfants d'une seule couche, résolut d'en garder un et chargea une servante d'aller noyer les autres;
celle-ci les mit dans un crible pour les porter à la rivière, mais, s'étant trouvée fatiguée, elle le posa sur un rocher de granit où il s'enfonça aussitôt.
Epouvantée, elle voulut se lever, mais elle resta collée à la pierre et une voix lui cria :
« Reporte les enfants auprès de leur frère. »
Elle put alors se relever;
on montre encore sur le rocher la trace du crible, et à côtés les lignes irrégulières sont la marque des vêtements de la servante.
D'après une version publiée en 1900, la servante, après avoir laissé son empreinte et celle du crible, allait atteindre le seuil de la maison où elle rapportait les enfants, lorsqu'elle buta contre un rocher, et elle serait tombée s'il ne s'était enfoncé dans le granit comme dans une pâte molle.

 

L'origine de dépressions qui font songer à la marque de chaînes ou de cordes est aussi expliqué par des légendes.

Un lec'h (mégalithe) octogone dans le cimetière de la chapelle de Landoujan-en-Le-Drennec est fortement entaillé depuis que saint Urgin, ayant pris un dragon qui faisait la terreur du pays, l'y attacha;
le monstre en se débattant, coupa la pierre jusqu'à la moitié de son épaisseur.

Sur un rocher, dit Huche pointue, non loin des roches Saint-Martin (Hte-Loire), au bord d'une partie très polie, se voient trois petites croix et deux traits plus marqués.
Un effroyable serpent ravageait le pays;
son corps depuis le ruisseau qui coule au bas de la colline entourait de ses replis toute la montagne.
Saint Georges, premier évêque du pays, arrive, monté sur un vigoureux coursier, et à coups de sabre coupe sur cette pierre le corps du monstre.
L'échancrure et trois petites croix qui sont auprès en indiquent la place;
les rayures profondes sont la trace des coups de sabre.

Le rocher des Fades, près de Bourg-Lastic a été apporté par les fées dans leurs tabliers, la nuit.
Quand le seigneur du Préchonnet descendit de son château et qu'il vit cette masse au milieu de son blé, il se mit en colère et commanda à tout son monde d'enlever cette gerbe-là.
Autant aurait voulu déplacer le Puy-de-Dôme !
Le seigneur s'entêta; il fit jouer le canon, il fit creuser la mine; mais tout ce qu'il put obtenir, à force de temps et d'efforts, fut d'entailler un des carreaux de la surface.
Les Fades revinrent, sourirent et laissèrent subsister l'entaille comme preuve de l'impuissance du seigneur.

 

d - Cultes et observances

Les empreintes merveilleuses sont l'objet d'un culte apparenté à celui des grosses pierres naturelles et des mégalithes;
il est probablement aussi ancien, puisqu'on l'a constaté, en nombre de pays, presque aux débuts de l'histoire.

En France, on la rencontre aux premiers siècles de l'ère chrétienne;
mais les empreintes attribuées à des héros ou à des dieux y étaient sans doute visitées antérieurement à l'établissement du christianisme, par des fidèles qui venaient leur demander le bonheur et la santé :
il est vraisemblable que les Apôtres, ne pouvant détruire d'emblée des observances séculaires, adoptèrent à leur égard le même procédé que pour les fontaines, et remplacèrent le nom de la divinité païenne par celui d'un saint populaire, et réputé pour ses miracles.
C'est pour cela qu'on trouve en Bourgogne et dans les régions voisines tant de Pas de Saint Martin ou de son coursier favori;
suivant un historien, ils jalonnent pour ainsi dire ses voyages évangéliques.
Ailleurs l'Eglise suivit la même politique, et des appellations de saints illustres ou simplement locaux se superposèrent, sans parfois les effacer entièrement, à celles des divinités.
Les visites continuèrent sous le nom de pèlerinages, avec des modifications de rites, parfois plus apparentes que réelles.

Grégoire de Tours cite plusieurs empreintes signalées à la vénération publique, et parmi elles celle d'une pierre dans la basilique de Saint-Martin de Tours, sur laquelle le saint s'était assis.

A Poitiers on avait élevé l'église du Pas-Dieu à l'endroit où le pied du Sauveur était resté marqué après son apparition à sainte Radegonde, et l'un des plus anciens pèlerinage de la même région avait lieu au Pas de Saint-Martin, à Salles-en-Toulon.

La Peyra del pechat del boun Diou, La Pierre du péché du bon Dieu, à Louignac-en-Limousin, qui a une dépression en forme de pied, est l'objet d'un culte immémorial.

 

L'acte fréquent dans le culte des pierres, par lequel le croyant met son corps en contact avec celles auxquelles il attribue de la puissance, est aussi usité lors des visites aux empreintes réputées miraculeuses.
Plusieurs passent pour rendre la fécondité aux femmes :
à la fin du 18e siècle, les épouses stériles se frottaient sur deux rochers de Locronan (Finistère) où les roues de la charrette qui transportait le corps de saint Ronan laissèrent leur empreinte.
Les femmes accomplissaient naguère encore le même acte sur un rocher de Saint-Etienne-en-Coglès, qui porte à son sommet un superbe bassin.

A Spa (Belgique), les femmes qui veulent concevoir appliquent leur chaussure dans un creux de rocher qui s'appelle Pas de Saint-Renacle.

Il y a dans le pays fougerais une « Chaire au Diable » sur laquelle il suffit de s'asseoir pendant un temps déterminé, à une certaine époque de l'année, pour que celui ou celle que l'on a en vue finisse par vous aimer.

On pose le pied des enfants qui tardent trop à marcher dans trois empreintes laissées par la Vierge sur une roche à Ménéac, dans le Morbihan;
la mère applique son pied et son genou sur ceux gravés en creux par la Vierge, tandis que les petits pieds de l'enfant sont placés sur ceux de l'Enfant Jésus.

Dans le Beaujolais, on conduit les enfants lents à marcher à un rocher à écuelles appelé Pierre de Clevis, en Saint-Romain-de-Popey;
ils urinent dans la cavité, et l'on assure que la guérison suit de près.

Les nouveaux-nés qui ont une certaine veine bleue dessinée entre les sourcils, qu'on appelle Mal de Saint-Divy, sont amenés à Dirinion (Finistère) à la pierre Nonne, mère de saint Divy, a laissé l'empreinte de ses genoux, afin que le saint les préserve de la mort prématurée que ce signe annonce.

A Besné (Loire-inf.), le lit de saint Secondel, fente granitique qui servait de lit à ce bienheureux solitaire, est usé par le frottement des pèlerins qui s'y couchent.

Dans la Brie, les pèlerins se plaçaient sur le siège de saint Fiacre pour se débarrasser d'infirmités variées, dont la liste se trouve dans une oraison à ce saint, relevée dans un livre d'heures imprimé en 1509.

En Savoie, ceux qui étaient affligés de sciatique s'asseyaient sur un petit bloc appelé la Selle de saint Bernard, placé dans une anfractuosité près de la chapelle de Saint-Clair, où ils allaient faire ensuite leurs dévotions.

Les paysans s'étendent, en invoquant saint Etienne, dans une des pierres à bassin que l'on voit à Plumergat, dans le Morbihan.

Les mères bercent leur enfant malade dans le creux du cheval de saint Martin, à Vertolaye dans le Puy-de-Dôme.
A Pluzunet (C.-d'A.), elles roulent ceux qui sont faibles dans le lit de saint Idunet, et de plus elles les fouettent avec un balai de genêt, dont elles se servent ensuite pour balayer la pierre.

Une chapelle consacrée à saint Stapin, sur le haut d'une montagne près de Dourgues (Aude), était l'objet d'un pèlerinage qui s'adressait plus aux empreintes qu'au patron du lieu.
Voici comment il se passait vers 1820 :
« Le jour de la fête du saint (6 août) les boiteux, les paralytiques, les malades de tout genre viennent à la chapelle, en font neuf fois le tour et se rendent ensuite à une plate-forme sur laquelle sont des rochers peu saillants hors de terre et percés de trous.
Là chacun trouve un remède à son mal;
il suffit d'introduire le membre affligé dans le trou auquel il correspond.
Il y en a de différends calibres pour la tête, la cuisse, les bras, etc.
Cette cérémonie faite, tout le monde est guéri. »
On rencontre la même coutume en Basse-Bretagne :
quand on a un membre blessé, on le met dans le trou que l'on remarque à la surface d'un gros bloc de pierre, naturellement arrondi, autrefois dans un champ près du village de Kerango-let-en-Gouesnou, et aujourd'hui placé dans une petite chapelle près du bourg.

 

L'efficacité de la visite aux empreintes, comme celles faites aux pierres ou aux fontaines, dépend parfois de l'heure du jour ou de la nuit où elle s'accomplit, ce qui est un indice de l'ancienneté de l'usage.
Dans la Haute-Loire, vers 1807, de nombreux pèlerins se rendaient à un rocher où l'on voyait des trous et qui portait le nom de Pierre de Saint-Martin.
Ce culte que le clergé avait vainement essayé de détruire, n'avait de résultat que s'il était pratiqué avant le lever du soleil ou après le coucher du soleil.

 

Pour se marier dans l'année, la jeune fille montait sur la pierre à bassin de Saint-Etienne-en-Coglès;
il fallait qu'elle s'y tienne en équilibre et ne rougisse pas devant les pèlerins venus à l'assemblée de saint Eustache.

 

L'eau qui séjourne dans les bassins ou dans le creux des empreintes est aussi efficace pour la guérison des maux que celle des fontaines miraculeuses.
Plusieurs de ces fontanelles sont réputées inépuisables.
L'eau des rayures du polissoir de la Pierre Saint-Benoît ou pierre qui pleure à Saint-James (Manche) revient toujours dans les cavités, quelques efforts que l'on fasse pour l'enlever;
Si on réussit à l'épuiser le soir, elle reparaît le lendemain matin.

L'eau de plusieurs cuvettes d'Eure-et-Loir est employée contre la fièvre :
après avoir bu celle qui séjournait dans les trous du polissoir dit Pierre de Saint-Martin à Civry, on priait sur la pierre et on y déposait une offrande;
des femmes appelées voyageuses venaient de fort loin, il y a une cinquantaine d'années, en chercher pour les malades qui ne pouvaient se déplacer.

Les montagnards du Bourbonnais vont encore se désaltérer à l'eau qui remplit l'eau des bassins, afin de se guérir de la fièvre, et aussi pour se prémunir des maléfices des sorciers.

Les gens atteints de maladies de la peau viennent se baigner dans une roche en forme de berceau où se rend une petite source qui est dans le voisinage de la grotte de Saint-Arnoux (Provence).

L'eau des rayures de la Pierre qui pleure à Saint-James (Manche) guérit la fièvre, plusieurs maladies de l'enfance et les affections des yeux;
celle d'un bassin creusé dans un bloc de granit près du village de Terme, dans la Creuse, de même que celle qui suinte dans un petit godet naturel dans les gorges du Tarn, près de l'Ermitage de Saint-Hilaire, avait aussi la réputation d'être efficace pour les maux d'yeux;
après la lotion on y jetait une épingle, ordinairement piquée dans un morceau du vêtement du malade.

La plus grande des vingt-cinq excavations d'une roche de Plouescat (Finistère), non loin du corps de garde de Sainte-Eden, contient toujours de l'eau, qui passe pour être miraculeuse contre les douleurs et les maladies du bétail, et les pèlerins ne manquent pas d'en emporter un peu chez eux.


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