Origine : Angoumois/Bas-Poitou
Année de l'arrangement : 2003


 

Le luneux (aveugle)


Je suis aveugle, l'on me plaint,
Et moi je plaint tout le monde.
Mes deux yeux ne sont plus pleins,
Car ils ont perdu leur bombe (1).
Dans un malheur comme le mien,
Tu t'en tu, t'en moques,
Hem ! hem ! hem !

Dans un malheur comme le mien,
La chandelle ne vaut rien.

 

2.
Je me lève dès le matin,
J'm'en vais d'village en village :
L'un me donne un morceau de pain,
L'autre un morceau de fromage ;
Quelquefois aussi par hasard
Tu t'en tu, t'en moques,
Hem ! hem ! hem !

Quelquefois aussi par hasard
Un petit morceau de lard.

 

3.
Je me moque du mercier
Avec toutes ses cassettes,
Je n'use point de papier,
Encore moins de lunettes.
J'ai pour peigne mes dix doigts…
Mes deux manches pour mouchoi'.

 

4.
J'ai mon chien et mon bâton,
Mes deux compagnons fidèles ;
L'un me conduit à tâtons,
L'autre au bout d'une ficelle,
Hé ! n'aimeriez-vous pas bien mieux…
Ces deux guides que deux yeux ?

 

5.
Jamais je n'ai peur de mon lit
De tomber dans la venelle (2),
Et ni que la chaleur du lit
Puisse m'engendrer la gravelle :
Je couche à plat sur le carreau…
Abrié (3) de mon manteau.

 

6.
Si jamais i' m'venait un fils
Dans cette agréable vie,
Je prierai bien le bon Dieu,
Ainsi qu'la vierge Marie,
Pour qu'ils lui crèvent les deux yeux,
Tu t'en tu, t'en moques,
Hem ! hem ! hem !

Pour qu'ils lui crèvent les deux yeux,
Pour en faire un vieux luneux.


Source : Jérôme Bujeaud - Chansons populaires des provinces de l'ouest, t. 2 page 306

(1) Bombe : convexité.
(2) Venelle : ruelle.
(3) Abrier : abriter.