Y a rien de sur la terre qui soit plus surprenant
Que la grande misère du pauvre Juif errant
Son sort est malheureux paraît triste et fâcheux

Un jour près d'une ville de Bruxelles en Brabant
Des bourgeois forts dociles l'accostèrent en passant
Jamais l'on n'avait vu un' homme aussi barbu

Lui disant bonjour maître de grâce accordez-nous
La satisfaction d'être un moment avec vous
Ne nous retardez pas éloignez donc vos pas

De savoir[e] votre âge nous serions fort curieux
De voir votre visage vous m'paraissez fort vieux
Vous avez bien cent ans vous en montrez autant

La vieillesse me gêne j'ai bien dix-huit cents ans
Chose sûre et certaine je passe encore trente ans
J'avais douze ans passés quand Jésus-Christ est né

N'êtes-vous pas cet homme de qui l'on parle tant
Que l'écriture nomme Isaac le Juif errant
Oui c'est moi mes enfants qui suis le Juif errant

Entrez dans cette auberge vénérable vieillard
Un peu de bière fraîche vous prendrez votre part
Nous vous régalerons le mieux que nous pourrons

J'accepterai de boire un coup avec vous
Mais je ne puis m'asseoir[e] je dois rester debout
Je suis trop tourmenté quand je suis arrêté

J'ai vu en Amérique c'est une vérité
Ainsi que dans l'Afrique grande immortalité
La mort ne me peut rien je m'en aperçois bien

Je n'ai pas de ressources en maisons ni en biens
J'ai cinq sous dans ma bourse voilà tout mon moyen
En tout lieu et tout temps j'en ai toujours autant

Etiez-vous donc coupable de quelque grand péché
Pour qu'un Dieu tant aimable vous ait tant affligé
Dites-nous l'occasion de cette punition

Montant z-au cal[e]vaire Jésus portant sa croix
Il me dit débonnaire passant devant chez moi
Veux-tu bien mon ami que je me repose ici

Moi brutal et rebelle je lui ai dit sans raison
Ote-toi criminel de devant ma maison
Avance et marche donc car tu me fais affront

Jésus la bonté même me dit en soupirant
Tu marcheras toi-même pendant plus de mille ans
Au jugement dernier finira ton tourment