Origine : Provence
Année de l'arrangement : 2004


 

La Porcheronne


C'est Guilhèm de Beauvoir(e)
qui se va marier;
Prend femme tant jeunette,
ne sait pas s'habiller.

2.
Le lendemain des noces,
le Roi l'a appelé,
Pour aller à la guerre
servir sa majesté :

3.
« A qui donner ma mie,
ma mignonne à garder ?
— Va, va, mon fils Beauvoir,
je te la garderai. »

4.
A sa dame mère
l'a bien recommandée :
« Tous les jours à la messe
vous la ferez aller.

5.
Quand sera revenue,
la ferez déjeuner;
Avec les autres dames
la ferez promener.

6.
Ne lui faites rien faire,
ni laver, ni pâter;
Que filer sa quenouille
quand elle voudra filer. »

7.
Quand Guilhèm de Beauvoir
eut les talons tourné,
Dut s'habiller de serge
et les pourceaux garder.

8.
A gardé sept années
sans rire ni chanter;
Au bout de la septième
elle s'est mise à chanter.

9.
Beauvoir est delà l'ève, (l'eau)
l'a entendue chanter :
« Arrête, arrête, page,
entends-tu bien chanter ?

10.
Semble que c'est ma mie,
la faut trauver. »
A traversé montagnes,
la mer a trépassé.

11.
Quand fut dans le bocage,
la porchère a trouvé :
« Bonjour, la porcheronne,
pour qui dois-tu garder ?

12.
— Pour monsieur de Beauvoir,
qu'est par delà la mer :
Y a sept ans qu'est en guerre,
s'en entend plus parler.

13.
— Dis-moi, la porcheronne,
donne-moi ton goûter ?
— Nenni, mon gentilhomme,
n'en sauriez pas manger;

14.
N'est que de pain d'avoine
qu'est pour les chiens lévriers.
— Dis-moi, la porcheronne,
veux-tu pas t'en aller ?

15.
— Devant, mon gentilhomme,
que je m'en puisse aller,
Mes sept fuseaux de soie
sont encore à filer,

16.
Et mon fagot de vernes (aulnes)
est encore à couper. »
Il tire son épée,
son fagot a coupé :

17.
— Dis-moi, la porcheronne,
où irai-je loger ?
— Au château de Beauvoir
pourrez vous arrêter.

18.
— Bonsoir, dame l'hôtesse,
me voudriez-vous loger ?
— Oui-dà, mon gentilhomme,
il y a de quoi manger.

19.
Il y a perdrix et cailles,
chapons entrelardés,
Et une belle chambre,
Monsieur, pour vous coucher. »

20.
Quand ce fut la vesprée,
qu'il se fallut barrer :
« Suis-moi, la porcheronne,
et viens donc te chauffer.

21.
— Nenni, mon gentilhomme,
n'ai pas accoutumé;
Je me chauffe à l'étable
avec les chiens lévriers.

22.
— Viens donc, la porcheronne,
viens avec moi souper. »
En se mettant à table,
elle ne fait que pleurer :

23.
Y a bien sept années,
qu'à table n'ai mangé,
Et bien autant encore
que mes mains n'ai lavées.

24.
— Or dites-moi , l'hôtesse,
avec qui coucherai ?
— Prenez la porcheronne,
Monsieur, si vous la voulez. »

25.
La prend par sa main blanche,
en chambre l'a menée.
Quand ils furent dans la chambre,
la porchère a crié :

26.
« O Guilhèm de Beauvoir
qui es delà la mer,
Si tu ne viens à l'heure,
me vont déshonorer ! »

27.
Met son cœur en fenêtre
en bas se veut jeter :
« Ne craignez pas, Madame,
à Guilhèm vous parlez.

28.
Où sont les bagues d'or
que je vous ai baillées,
Y a sept ans, à la guerre
quand je m'en suis allé ?

29.
— Votre ingrate mère,
elle me les a ôtées;
Votre sœur la plus grande,
les a toujours portées.

30.
— Où sont les belles robes
que je vous ai baillées,
Y a sept ans, à la guerre
quand je m'en suis allé ?

31.
— Votre ingrate mère,
elle me les a ôtées;
Votre sœur la cadette,
les a toujours portées. »

32.
Lendemain, de bonne heure,
d'en-bas s'entend crier :
« Lève-toi, porcheronne,
viens les pourceaux larguer !

33.
— Allez-y vous, ma mère,
les a que trop gardés;
Si vous n'étiez ma mère,
vous ferais étrangler. »


Source : Henri Davenson - Le livre des chansons…, page 176

Origine : Damase Arbaud, Chants populaires de la Provence, T. 1 page 91

Le héros de cette complainte est un personnage réel, un baron dauphinois du XIIIe siècle, Guillaume de Beauvoir, qui partit à la croisade et dont on conserve le testament, daté de 1277.
La Porcheronne est répandue dans toute la France, et au-delà en Catalogne et Piémont.
(H. Davenson)

 

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