Origine : ?
Année de l'arrangement : 2003


 

Monsieur de la Palisse*


Messieurs, vous plaît-il d'ouïr
L'air du fameux la Palisse ?
Il pourra vous réjouir,
Pourvu qu'il vous divertisse.
La Palisse eut peu de bien
Pour soutenir sa naissance ;
Mais il ne manqua de rien,
Dès qu'il fut dans l'abondance.

 

Bien instruit, dès le berceau,
Jamais, tant il fut honnête,
Il ne mettait son chapeau,
Qu'il ne se couvrit la tête.
Il était affable et doux,
De l'humeur de feu son père,
Et n'entrait guères en courroux
Si ce n'est dans la colère.

 


Il buvait tous les matins,
Un doigt, tiré de la tonne,
Il mangeant chez ses voisins,
Et s'y trouvait en personne.
Il voulait dans ses repas
Des mets exquis et fort tendres,
Et faisait son mardi gras,
Toujours la veille des Cendres.

 


Ses valets étaient soigneux
De le servir d'andouillettes,
Et n'oubliaient pas les œufs,
Surtout dans les omelettes.
De l'inventeur du raisin,
Il révérait La mémoire ;
Et pour bien goûter le vin
Jugeait qu'il fallait en boire.

 


Il disait que le nouveau,
Avait pour lui plus d'amorce ;
Et moins il y mettait d'eau
Plus il y trouvait de force.
Il consultait rarement,
Hippocrate et sa doctrine,
Et se purgeait seulement
Lorsqu'il prenait Médecine.

 

Il aimait à prendre l'air,
Quand La saison était bonne ;
Et n'attendait pas l'hiver,
Pour vendanger en automne.
Il épousa, ce dit-on,
Une vertueuse dame ;
S'il avait vécu garçon,
Il n'aurait pas eu de femme.

 


Il en fut toujours chéri ;
Elle n'était point jalouse :
Sitôt qu'il fut son mari,
Elle devint son épouse.
D'un air galant et badin,
Il courtisait sa Caliste,
Sans jamais être chagrin,
Qu'au moment qu'il était triste.

 


Il passa près de huit ans,
Avec elle, fort à l'aise ;
Il eut jusqu'à huit enfants :
C'était la moitié de seize.
On dit que dans ses amours,
Il fut caressé de belles,
Qui le suivirent toujours,
Tant qu'il marcha devant elles.

 


Il brillait comme un soleil ;
Sa chevelure était blonde :
Il n'eut pas eu son pareil,
S'il eut été seul au monde.
Il eut des talents divers,
Même on assure une chose :
Quand il écrivait en vers,
Qu'il n'écrivait pas en prose.

 


 En matière de Rébus,
Il n'avait pas son semblable :
S'il eut fait des impromptus,
Il en eut été capable.
Il savait un triolet,
Bien mieux que sa patenôtre ;
Quand il chantait un couplet,
Il n'en chantait pas un autre.

 

Il expliquait doctement
La physique et la morale :
Il soutint qu'une jument
Est toujours une cavale.
Par un discours sérieux,
Il prouva que la berlue,
Et les autres maux des yeux,
Sont contraires à la vue.

 

Chacun alors applaudit
A sa science inouïe :
Tout homme qui l'entendit,
N'avait pas perdu l'ouïe.
Il prétendit, en un mois,
Lire toute l'écriture,
Et l'aurait lue une fois,
S'il en eut fait la lecture.

 

Par son esprit et son air,
Il s'acquit le don de plaire ;
Le Roi l'eut fait Duc et Pair,
S'il avait voulu le faire.
Mieux que tout autre il savait
A la cour jouer son rôle :
Et jamais lorsqu'il buvait,
Ne disait une parole.

 


Lorsqu'en sa maison des champs
Il vivait libre et tranquille,
On aurait perdu son temps,
De le chercher à la ville.
Un jour il fut assigné
Devant un juge ordinaire ;
S'il eut été condamné,
Il eut perdu son affaire.

 

Il voyageait volontiers,
Courant par tout le royaume :
Quand il était à Poitiers,
Il n'était pas à Vendôme.
Il se plaisait en bateau;
Et soit en paix, soit en guerre,
Il allait toujours par eau,
Quand il n'allât par terre.

 

Un beau jour, s'étant fourré
Dans un profond marécage,
Il y serait demeuré,
S'il n'eut pas trouvé passage.
Il fuyait assez l'excès ;
Mais dans les cas d'importance
Quand il se mettait en frais,
Il se mettait en dépense.

 

Dans un superbe tournoi,
Prêt à fournir sa carrière,
Il parut devant le Roi :
Il n'était donc pas derrière.
Monté sur un cheval noir,
Les dames le reconnurent ;
Et c'est là qu'il se fit voir
A tout ceux qui l'aperçurent.

 

Mais bien qu'il fut vigoureux,
Bien qu'il fit le diable à quatre
Il ne renversa que ceux
Qu'il eut l'adresse d'abattre.
Il fut par un triste sort,
Blessé d'une main cruelle
On croit, puisqu'il en est mort
Que la plaie était mortelle.

 

Regretté des ses soldats,
Il mourut digne d'envie ;
Et le jour de son trépas
Fut le dernier de sa vie.
Il mourut le vendredi,
Le dernier jour de son âge :
S'il fut mort le samedi,
Il eut vécu davantage.

 


J'ai lu dans les vieux écrits ;
Qui contiennent son histoire,
Qu'il irait en paradis,
S'il était en purgatoire.


Source : Chants et chansons populaires de la France (extraits)
parue en 1843. (H.-L. Delloye)

Réédité textuellement par Auzou en 1984.

*Au nombre des plus fameux capitaines qui vers l'an 1515 passèrent les monts avec François Ier, pour envahir le Milanais, on comptait Jacques II de Chabanes, seigneur de La Palice.

Il venait d'être nommé maréchal de France au moment où la bataille de Marignan eut lieu.
Il contribua pour une grande part au gain de cette bataille.

En 1525, François Ier rentra en Italie;
il ne manqua pas d'emmener avec lui le maréchal de La Palice.
Il y avait plus de trente années que ce vaillant homme de guerre combattait dans ce pays.
Il était vieux, rempli d'expérience, mais le roi n'écoutait pas ses conseils et préférait suivre ceux de jeunes favoris plus audacieux.

On livra bataille et l'armée française, comme chacun le sait, fut détruite, le Roi fait prisonnier.

La Palice, après avoir combattu longtemps, perdit son cheval.
Il se jetait à pied au milieu des Suisses, quand le capitaine Castaldo le fit prisonnier.

A l'aspect de ce beau vieillard, couvert d'une riche armure, l'Espagnol reconnut que c'était un chef de l'armée, et qu'il pourrait en avoir une bonne rançon ;
mais un autre capitaine, appelé Buzarto, survint et prétendit partager cette prise avec Castaldo qui s'y refusa.
" Eh bien, dit l'autre, ce ne sera ni pour toi ni pour moi.
Et d'un coup d'arquebuse il cassa la tête du malheureux prisonnier.

Après la bataille de Pavie, plusieurs chansons populaires furent composées sur cette défaite ;
éloge remarquable et qui rappelle que jusqu'à sa dernière heure le vaillant capitaine a combattu.

Mais dans un noël satirique, composé sur ce malheureux événement de Pavie, l'on disait :

Monsieur de La Palice est mort,
Mort devant Pavie
Un quart d'heure avant sa mort
Il étoit encore en vie !

tous les couplets sont dans ce genre, et servirent évidemment de modèle à la chanson populaire ci-dessus.

 

Le commentaire est signé de : Le Roux de Lincy.